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sur la littérature contemporaine[1] ; le second est un brouillon trouvé après sa mort, et contenant l’esquisse des cinq premières scènes. En outre, un de ses amis, M. J.-J. Engel, qui avait reçu, pendant plusieurs années, ses confidences poétiques, a fait connaître au public ce qu’il avait retenu du plan de cette pièce[2]. En rapprochant les souvenirs de M. Engel des indications contenues dans le fragment posthume, on peut entrevoir, non pas tous les incidens du drame, mais au moins le cadre et l’idée principale.

La première scène se passe dans une église gothique. Il est minuit : Béelzébut et sa cour tiennent conseil dans la nef, assis sur les autels, mais invisibles. Le spectateur devait seulement entendre résonner sous les voûtes leurs voix rudes et discordantes. Le résultat de la délibération est qu’il faut s’efforcer de faire tomber dans l’enfer le fameux docteur Faust. Pâle et exténué, il est, en ce moment même, courbé devant sa lampe nocturne, agitant les problèmes les plus ardus de la philosophie scolastique. Trop d’amour pour la science peut conduire à bien des fautes. Un démon dresse, sur cet espoir, un redoutable plan d’attaque. Il ne demande que vingt-quatre heures pour l’accomplir ; mais l’ange de la Providence, qui planait, invisible, comme les esprits malfaisans, au-dessus de l’assemblée, s’écrie : Non, maudit, tu ne vaincras pas ! Ce bon ange devance l’envoyé de l’enfer, plonge Faust dans un profond sommeil et lui substitue un fantôme que le démon a la sottise de prendre pour l’objet de ses attaques. Quant aux ruses que Lessing faisait employer à l’esprit malin pour séduire le docteur, on les ignore ; on sait seulement que Faust assiste en rêve à la vaine lutte du démon et de son fantôme ; il se réveille pour être témoin de la honte et de la fuite de l’agent infernal. Il remercie avec effusion la Providence de l’avis salutaire qu’elle lui a envoyé au moyen d’un songe si instructif. Tel était le canevas de cette pièce, ingénieux peut-être, mais bien éloigné de la simplicité et de la gravité de l’histoire populaire. Le rêve qui rend Faust simple spectateur de sa propre tentation est une fiction froide et malheureuse, qui détruit tout le tragique intérêt et toute la portée chrétienne de la légende, pour ne lui laisser que les proportions mesquines d’un puéril apologue.

Le fragment publié du vivant de Lessing est d’un tout autre caractère et ne paraît pas avoir pu appartenir à la pièce dont nous venons d’exposer la marche. C’est la scène de l’évocation des esprits infernaux (Geister Scene). La première fois que je lus ce morceau[3], je fus frappé

  1. Lettre 17e.
  2. Ces trois morceaux ont été rassemblés dans les œuvres complètes de Lessing. Voy. Theatralischer Nachlass, § 6, t. XXII, p. 213.
  3. Voir les notes du roman intitulé les Aventures de Faust, par MM. Saur et de Saint-Geniès, t. Ier, p. 226.