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en guise d’introduction, tout le tohu-bohu d’une foire de village. D’un côté, des marchands de jouets de Nuremberg, des vendeuses de petits balais, des boutiques de comestibles, un joueur d’orgue et un petit paysan qui fait danser sa marmotte ; de l’autre, les visiteurs et les chalands, un petit bohémien sans sou ni maille et en guenilles, qui méprise cette foire, un pasteur et sa gouvernante qui ne regardent pas du même œil une jeune marchande de pain d’épice, tel est le tableau, à la manière d’Hogarth ou de Callot, qui précède la tragédie que va faire jouer le directeur de marionnettes. Cette tragédie a pour sujet l’histoire d’Esther et de Mardochée. Quand le rideau tombe, on a de nouveau devant les yeux le champ de foire et tous les personnages que l’on y a vus déjà, plus un bateleur qui, pour terminer les Fêtes de la foire, montre ses ombres chinoises.

Peut-être Goethe a-t-il eu tort de se souvenir de cette bluette et d’en faire jouer quelques parties en 1780, à la cour de Weimar,-dont il était le commensal favori depuis le succès immense de Goetz de Berlichingen et de Werther. Il y ajouta, pour la fête de la princesse Amélie, un épilogue, rempli, comme la Nuit de Walpurgis, d’allusions et de critiques littéraires, absolument insaisissables pour nous, qu’il intitula Ce qu’il y a de plus nouveau à la foire de Plundersweilern. Je m’étonne encore plus que ce grand homme ait donné place dans ses rouvres à ces deux badinages, qu’il a réunis sous le titre collectif de : Un Spectacle de marionnettes moral et politique nouvellement ouvert[1].

Mais la cour toute poétique de Weimar n’était pas la seule en Allemagne où l’on demandât des distractions aux ombres chinoises et aux marionnettes. Au fond de la Hongrie, à Eisenstadt, dans l’antique et magnifique château des princes d’Esterhazy, la muse aimable qui préside aux marionnettes a remporté peut-être ses plus merveilleux triomphes. Nous tenons ce que nous allons rapporter d’une confidence faite à Vienne en 180 par l’illustre compositeur Haydn à M. Charles Bertuch, un de ses fervens admirateurs.

On savait bien que le prince Nicolas-Joseph d’Esterhazy, protecteur éclairé des artistes et surtout des musiciens, entretenait à grands frais une chapelle composée des chanteurs et des instrumentistes les plus habiles, et qu’il en confia, en 1762, la direction à Joseph Haydn, dont le nom était encore peu connu, mais dont le vieux prince Antoine Esterhazy avait deviné l’avenir et assuré le sort en l’attachant à sa maison. On savait qu’il y avait dans le château d’Eisenstadt un grand théâtre où ces princes faisaient exécuter les meilleurs opéras allemands et italiens ; mais ce qu’on savait moins, c’est qu’il y avait encore un petit théâtre de marionnettes, le plus admirable peut-être

  1. Goethe, Werke (Stuttgart, 1829), t. XIII, p. 1-53.