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de sa jeunesse ont pris une forme plus idéale sans rien perdre de leur réalité, dans les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister, avec quel charme et quelle effusion de souvenir ne revient-il pas sur ses bienheureuses marionnettes, l’aiguillon de son naissant instinct dramatique ! Il ne nous laisse rien ignorer de la construction du théâtre, du mécanisme des petits acteurs, de la manière de les faire mouvoir, du soin qu’il prenait de les faire parler avec convenance et clarté. Excellent exercice pour l’enfance et le meilleur apprentissage de diction soutenue et même d’improvisation ! Caché derrière la toile de fond, l’interprète novice lisait d’ordinaire ou récitait les pièces les plus applaudies dans les foires, particulièrement David et Goliath. Le jeune Goethe alla plus loin ; il imagina de faire jouer à ses poupées quelques grands ouvrages dramatiques qui ne se trouvèrent (il en fait l’aveu) ni dans les proportions de cette petite scène, ni à la portée de son auditoire[1]. Les théâtres de marionnettes privés étaient assez nombreux dans les grandes villes, notamment à Hambourg, à Vienne et à Berlin, pour que quelques écrivains de profession n’aient pas dédaigné de composer de petits drames à leur usage. Je citerai, entre autres, Jean-Frédéric Schinck, auteur distingué de romans et de drames, qui, en 1777, a écrit plusieurs petites pièces de ce genre et les a réunies en un volume[2]. Goethe lui-même, à peine âgé de vingt ans, mais déjà préoccupé de la conception de Goetz de Berlichingen et de Werther, écrivit à Francfort, dans une société d’amis, une bagatelle de ce genre intitulée Fêtes de la foire à Plundersweilern[3]. « Cette petite pièce, dit-il, n’est qu’une épigramme ou plutôt un recueil d’épigrammes en action. Sous l’apparence d’une parade figuraient en réalité des membres de notre société. Le mot de l’énigme était un secret pour la plupart, et tel rieur ne se doutait guère que l’on s’amusait à ses dépens[4]. » Cette œuvre sans conséquence me parait pourtant remarquable, en ce que la marelle et un peu la pensée des premières scènes a une remarquable analogie avec la disposition du commenceraient de Faust. Elle s’ouvre par un prologue où s’étalent quelques aphorismes moraux dans le goût des Haupt-Actionen, au travers desquels Hanswurst jette, à sa manière, une de ses plaisanteries banales. Vient ensuite un prologue sur le théâtre, comme dans Faust ; c’est un dialogue entre un charlatan directeur de marionnettes et un docteur (peut-être le bourgmestre de Plundersweilern). Ce directeur, homme de goût classique et quelque peu disciple de Gottsched, soutient que, pour plaire aux spectateurs, il faut peindre les hommes en beau. Puis se déroule sous nos yeux,

  1. Wilhelm Meisters Lehrjahre, liv. Ier, chap. 4 et suiv. Werke, t. XVIII, p. 12.
  2. J.-Fr. Schinck, Marionettentheater, Berlin, 1777, in-8o.
  3. Il y a dans ce nom forgé par Goethe une allusion au mot Plunder, chiffon, guenilles.
  4. Aus meinem Leben… (Mémoires), 3e partie, livre XIII. — Werke, t. XXVI, p. 235.