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Aussi ces représentations prirent-elles, même dans les états protestans d’Allemagne, un énorme développement. Le Mystère de Saül, en dix actes, composé par Mathias Holzwart, fut représenté près de Prague par six cents personnes, dont cent parlantes et cinq cents muettes[1]. Jean Brummer, recteur de l’école latine à Kaufbeuern en Souabe, fit jouer dans cette ville l’histoire des saints apôtres le lundi de la Pentecôte 1592, et ce mystère, imprimé à Lauengen, sous le titre de Tragicomoedia apostolica, n’employait pas moins de deux cent quarante-six acteurs. Des spectacles aussi dispendieux ne pouvaient se déployer que dans des centres de populations considérables. Les joueurs de marionnettes se chargèrent, dans les lieux moins favorisés, de satisfaire le goût public, en joignant à leurs légendes romanesques et aux facéties de leur Hanswurst des pièces tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament, telles que la chute d’Adam et d’Eve, le combat de David et de Goliath, Judith et Holopherne, la parabole de l’enfant prodigue, surtout les scènes de la crèche et de la persécution d’Hérode[2], toutes pièces demeurées en possession des théâtres de marionnettes et qui faisaient, il y a peu d’années encore, l’ornement des foires de Francfort et de Leipzig[3].

Ajoutons que, malgré la fureur des modernes iconoclastes, plusieurs figures mécaniques, jetées par eux hors des églises, étaient si généralement aimées et vénérées des habitans, que, dans plusieurs cités, même protestantes, l’affection populaire fit ouvrir à ces débris des espèces d’asiles permanens où la foule put aller les visiter, comme dans un musée. Telle fut l’origine du Doolhof ou labyrinthe d’Amsterdam, vaste galerie élevée, en 1539, au milieu d’une sorte de parc, où l’on a réuni une collection d’anciennes figures de bois dont plusieurs sont automatiques. Un peu plus tard, on établit un second labyrinthe et on agrandit le premier, auquel on ajouta successivement des figures nouvelles. Cet établissement fut, en Hollande, à la suite des ravages de la réforme, ce que fut en France, après 1793, le musée des Petits Augustins. Les deux Doolhof jouissaient d’une telle célébrité dès 1666, que Pierre Le Jolle, auteur de la Semaine burlesque à Amsterdam, crut, devoir consacrer près de deux cents vers à les décrire[4]. Presque

  1. Koch, Grundriss… (Esquisse d’une histoire de la langue et de la littérature allemandes) ; t. Ier, p. 266 et 269.
  2. Voyez une pièce de marionnettes intitulée le Roi Hérode, publiée d’après le manuscrit d’un joueur ambulant, Jean Walck de Neustadt, qui la représentait encore en 1834. M. Scheible, a conservé, dit-il, autant que possible, le style de l’original. Voyez Das Schaltjahr (l’Année bissextile) ; Stuttgard, 1846, t. IV, p. 702-709.
  3. M. le docteur J. Leutbecher (Der älteste dramatische Bearbeitung…) regrette que les Puppen-Spieler aient totalement cessé de représenter des sujets bibliques dans ces deux villes depuis 1838. Voyez Das Closter, t. V, p. 719.
  4. Description d’Amsterdam, en vers burlesques, selon la visite de six jours d’une semaine ; Amsterdam, 1666, in-12, p. 240-246.