Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peuple est religieux et croit encore au dogme de la royauté[1]. Premier théâtre de la renaissance intellectuelle et politique qui se poursuit aujourd’hui dans le Nord, la Suède a ainsi un double titre à notre attention, et c’est d’elle qu’il faut s’occuper d’abord quand on veut pénétrer le sens du curieux mouvement qui agite les pays scandinaves.


I. – LES PHOSPHORISTES ET L’ECOLE GOTHIQUE.

Des liens étroits unissent la Suède à la France. Lorsque, au commencement du XVIIe siècle, Henri IV leva le premier en Europe l’étendard de la liberté religieuse en face de l’Espagne intolérante et celui de l’équilibre européen en présence des envahissemens de la maison d’Autriche, lorsque Richelieu et Mazarin consacrèrent, par le glorieux traité de 1648, cette double conquête accomplie, lorsqu’enfin Louis XIV fit pénétrer si profondément dans toute l’Europe, suivant l’expression de M. de Lionne, « l’odeur triomphante des lis, » notre plus fidèle, notre constante alliée fut la Suède. Nous vainquîmes avec Gustave-Adolphe, avec Baner, Torstenson et Wrangel, et les impériaux reculèrent devant l’union du roi très chrétien avec les luthériens du Nord. La récompense que notre amitié valut à la Suède fut son introduction définitive dans la société européenne, dont elle avait à peine fait partie jusqu’alors. Nos subsides lui furent assurés pour long-temps, et continuèrent à faire dominer notre influence jusque dans ses guerres civiles. On vit la Suède garder notre empreinte, d’abord par suite d’une heureuse conformité d’esprit et de caractère, puis par une imitation décidée. L’époque de Gustave III fut le règne incontesté de l’esprit français dans les mœurs et les lettres suédoises.

Gustave lui-même admirait Voltaire et adorait Racine ; il n’aimait que les livres français, méprisait Shakspeare, et détestait la langue et la littérature allemandes « à l’égal du tabac. » Il lisait au milieu des camps, pendant la guerre de Finlande, les Incas de Marmontel, les romans de Mme de La Fayette, et traduisait la Henriade. Pendant son second voyage à Paris, lorsque, le 15 juin 1784, après la réception du comte de Montesquiou-Fézensac à l’Académie française, le maréchal duc de Duras lui présenta tous ses confrères, le roi salua chacun d’eux par son nom et par les titres de ses principaux ouvrages, « jusqu’à M. Beauzée, » disent les mémoires de Bachaumont, « auquel il fit compliment de sa Grammaire et de plusieurs autres écrits. » Gustave félicita M. Suard, qui avait répondu au récipiendaire, de la hardiesse avec laquelle il avait attaqué le Mariage de Figaro et blâmé le mauvais goût des Parisiens, qui applaudissaient « une si méchante pièce. » On jouait bien

  1. Des paysans suédois qu’on emmenait en 1849 à la guerre de Slesvig-Holstein répondaient naïvement à ceux qui leur demandaient où ils allaient : « Nous allons en France, au secours de ces pauvres Français, qui ont perdu leur roi ! »