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et les Münzer, fut d’exciter un soulèvement général et comme une sorte de croisade contre ce que les religionnaires fanatiques appelaient l’idolâtrie des images. On ne saurait énumérer combien de statues et de tableaux de dévotion furent brisés ou brûlés en Thuringe, en Franconie, en Bavière, en Suisse, en Hollande, par ces nouveaux iconoclastes de toutes sectes, anabaptistes, lollards, zwingliens, beghards, et par les paysans ou bûcherons des environs de la Forêt-Noire. Non-seulement les cérémonies dramatiques furent retranchées de la nouvelle liturgie, mais, dans beaucoup de contrées demeurées fidèles au catholicisme, on crut devoir se conformer plus strictement qu’on n’avait fait jusque-là aux prescriptions des conciles et renoncer à tout ce qui s’était glissé de quelque peu théâtral dans les processions et dans les offices, afin de ne laisser aucun prétexte aux déclamations ou aux railleries des novateurs. Il est vrai que dans diverses contrées, comme en Pologne, en Autriche et dans les Pays-Bas catholiques, on maintint au contraire avec une obstination calculée tous ces anciens spectacles, y compris les jeux les moins graves de la sculpture mécanique, comme une éclatante protestation contre l’hérésie. Un voyageur, homme d’esprit et d’une piété sage, M. Guillot de Marcilly, raconte avoir vu, en 1718 (et on a dû voir long-temps encore après cette époque), dans une des principales églises de Louvain, une grande figure de bois, représentant Notre-Seigneur monté sur un âne, faisant son entrée triomphante dans Jérusalem. « Cette machine, placée près du chœur, sert, dit-il, tous les ans, pour la cérémonie qui a lieu le matin du dimanche des Rameaux[1]. » Vers le même temps, M. l’abbé d’Artigny, voyageant en Autriche, assista dans une église de Vienne à un spectacle tout pareil[2]. Enfin à Anvers, outre la grande procession annuelle, où l’on promenait la figure du géant Goliath, M. Guillot de Marcilly vit dans le petit cimetière, attenant à une des portes latérales de l’église des dominicains, une crypte où ces religieux donnaient, avec des figures expressives et des illusions d’optique, une effrayante et grotesque représentation des peines du purgatoire. « Dans ce souterrain, écrit-il, tout est peint en couleur de feu ; la lumière ne sort que par quelques petites lucarnes dont les vitres sont aussi peintes en rouge, ce qui donne une assez juste idée d’une fournaise ardente. On aperçoit enchaînées au milieu des flammes une infinité de figures au naturel qui font des grimaces épouvantables et semblent pousser des hurlemens. Un ange descend du ciel pour les consoler ; mais ces désespérés ne paraissent seulement pas l’apercevoir. Vient un autre ange avec un grand rosaire à la main ; aussitôt ces pauvres ames se jettent dessus et grimpent,

  1. Relation historique et théologique d’un voyage en Hollande, Paris, 1719, p. 429.
  2. D’Artigny, Nouveaux Mémoires, etc., t. IV, p. 315, note ; et Fr. Ern. Brükmann, Centuriœ tertiœ epistola itineraria XXVIII, ex ibens memorabilia Viennensia.