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sont aujourd’hui complètement sacrifiés aux filateurs ; la protection exorbitante accordée à ceux-ci empêche ceux là d’étendre leur fabrication et d’exporter. Quelle est donc l’équité de nouvelle fabrique en vertu de laquelle cela se passe ? Où a-t-on découvert un motif pour que l’imprimeur devînt le vassal au filateur, plutôt que le filateur de l’imprimeur ?

Les prescriptions du régime protecteur sont pleines de contradictions bizarres. Voici une industrie naissante qui, à ce titre peut éprouver plus d’embarras qu’une autre, la filature mécanique du lin et du chanvre ; on lui donne une protection de 22 pour 100 ; c’est trop, certainement ; mais en voici une autre qui est ancienne, qui sent le sol ferme sous ses pas, la filature du coton ; elle est protégée contre les filés étrangers par la prohibition absolue[1]. Tout est arbitraire dans la fixation des droits. Ce sont des sollicitations plus ou moins habiles, c’est l’humeur ou le caprice d’un ministre ou d’un personnage influent, quelquefois son intérêt, qui ont présidé à ces arrangemens et ont fait du tarif un amalgame confus qui défie la logique et insulte au bon sens.

Dans les discours d’apparat, on témoigne un amour brûlant à l’agriculture ; très bien. Alors vous supposez qu’on lui facilite autant qu’on le peut la vente de ses produits. Non pas. Voici l’art d’élever les vers à soie auquel se livrent beaucoup de départemens du midi, et ils y réussissent ; l’étranger paierais volontiers leur soie ce q’elle vaut ; mais le régime protecteur intervient ; il imagine, parce que tel est son bon plaisir, de frapper à la sortie cette marchandise. Et nos vins, dont le monde entier boirait, si par nos rigueurs protectionistes contre les produits de l’industrie étrangère, nous n’avions attiré sur eux le poids de représailles cruelles[2] ? Tous les contre-sens sont dans les flancs de ce malheureux système, et ici chaque contre-sens est une injustice.

  1. A l’exception des fils fins au dessus du numéro 143 : ces fils fins, depuis 1836, sont admis en France, mais moyennant un droit élevé.
  2. Il y a deux siècles, la France vendait à l’Angleterre une quantité de vins que les relevés commerciaux portent à 20,000 tonneaux (180,000 hectolitres). Depuis lors ; la population du Royaume Uni a plus que triplé ; la richesse générale y a suivi une progression beaucoup plus rapide. À en juger par le progrès d’autres consommations, on serait fondé à dire que, si les rapports commerciaux fussent restés sur le même pied, l’Angleterre nous achèterait présentement dix ou douze fois autant de vin qu’alors, soit 200,000 tonneaux au moins ; mais, à partir de 1667, les deux nations se sont mises à frapper l’industrie l’une de l’autre, sans s’apercevoir que c’étaient des coups qui retombaient sur elles-mêmes, et la vérité m’oblige à dire que c’est nous qui commençâmes Ce fut la France surtout qui aggrava ces hostilités commerciales, sous l’inspiration des haines aveugles qu’avait provoquées la guerre, à partir de 1793. On le verra plus loin. Aujourd’hui nous ne plaçons dans le Royaume-Uni que le septième du vin que nous y vendions il y a près de deux siècles, la soixante dixième partie de ce que nous devrions y en vendre. Ce n’est malheureusement pas le seul marché où nous ayons attiré ce désastreux échec une production à laquelle notre sol convient admirablement, et dont nous possédons mieux que personne tous les secrets.