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de plusieurs maniérés : elle varie non seulement avec les objets, mais aussi avec les frontières par où ils se présentent. C’est ainsi que la taxe protectrice sur la houille change cinq fois avec les zones. Dans le même lieu, entre deux citoyens, l’inégalité est extrême. J’exerce une profession libérale quelconque ; ou encore je suis employé d’administration, ou enfin je suis ouvrier ; je reçois une rémunération en argent : la législation qui s’appelle protectrice me contraint de payer plus cher une multitude d’objets usuels, c’est-à-dire que je donne, en échange d’une chose nécessaire à la satisfaction de mes besoins ou de ceux de ma famille, une quantité de mon travail qui est supérieure à la seule proportion qui soit légitime et naturelle, celle qui est indiquée par la valeur courante des choses sur le marché général du monde[1], ou pour exprimer le même fait en d’autres termes, je suis obligé à troquer tout le labeur que je puis faire contre une quantité de choses moindre que ce que m’autorise à réclamer la valeur de ce labeur comparée au cours des choses sur le marché général. Mon voisin est fabricant de fer, de cristaux ou de quincaillerie, ou propriétaire d’une mine de houille ; la même loi qui me vexe l’investit, lui, du privilège d’obtenir en retour des produits de son industrie, une quantité des produits nécessaires à ses besoins qui excède la proportion naturelle. C’est d’une injustice palpable, car je supplie qu’on me dise quel titre il a de plus que moi à la munificence nationale. De quel droit est ce que le législateur lui confère une faveur qui se résout en un sacrifice pour moi ? Entre les différentes professions industrielles, la balance n’est pas plus égale. Je suis producteur de faïence ou d’acier, je jouis d’une protection énorme, j’ai le monopole ; je vends mes produits un tiers ou un quart au-delà de ce qu’ils valent sur le marché général. Au lieu de cela, je fabrique des soieries, ou des articles de goût ou de mode, ou des produits chimiques ; que me sert le régime protecteur ? Il ne me fait pas vendre mes marchandises un centime de plus au dedans parce que la protection inscrite au tarif n’enchérit pas les articles que nous produisons à aussi peu de frais que les autres peuples et en abondance ; bien plus, il m’empêche de les vendre au dehors, par les représailles qu’il suscite, ou même par des droits de sortie. Où est l’égalité ? Dans la même industrie, celle des cotonnades, les imprimeurs

  1. J’entends ici par le marché général l’ensemble des lieux où les marchandises de toutes provenances se vendent et s’achètent sans avoir à payer aucun droit de douane à personne. Dans chaque état, il existe aujourd’hui des entrepôts où les choses se passent ainsi. On y héberge même les articles dont la consommation est prohibée dans le pays ; et, en ce cas, on ne peut les acheter que pour les réexporter. Les marchandises tarifées paient le droit de douane lorsqu’elles quittent les entrepôts pour aller chez le marchand qui doit les livrer au consommateur. En France, chacun de nos ports importans a un de ces entrepôts : Paris a le sien, ainsi que plusieurs autres villes de l’intérieur.