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le double malheur de heurter la liberté et de blesser la justice est destinée à périr ; il n’y a pas de raisonnement qui puisse la faire absoudre ni d’expédient qui puisse la sauver. La règle est absolue, et je ne pense pas que personne la conteste, du moment que j’aurai ajouté que la liberté doit s’entendre non seulement de l’individu isolément, mais de la société prise collectivement, et que la liberté collective de la société, c’est l’ordre. Or, si l’on fait passer le système protecteur par le double creuset de la liberté et de la justice, qu’est ce qu’il en restera ?

D’abord, la liberté. Le système protecteur la viole manifestement. La liberté du travail et de l’industrie, qui est notoirement selon l’esprit de la civilisation moderne, et qui est formellement garantie par la constitution de 1848 (article 13), suppose et exige : 1° que les hommes choisissent leur profession à leur gré et l’exercent comme ils l’entendent, pourvu que la liberté réciproque du prochain n’en soit pas compromise ; 2° que les hommes s’approvisionnent où ils veulent de matières et d’instrumens ; 3° qu’ils disposent à leur gré des produits ou de la rémunération de leur travail, pour leur usage personnel ou pour telle destination qui leur plaît. Sur le premier point, j’admettrai ici que nous sommes passablement lotis, non que les restrictions au libre choix et au libre exercice des professions soient rares parmi nous : on pourrait même citer plusieurs monopoles plus ou moins offensifs ; mais c’est sur les deux autres, points qu’il y a le plus à réclamer, incomparablement, et je m’y réduirai. Le citoyen français est indéfiniment contrarié dans son désir légitime de se pourvoir de matières et d’instrumens là où il le ferait avec le plus d’avantage. Il l’est plus encore lorsqu’il voudrait appliquer à ses besoins les fruits de sons travail en se pourvoyant là où il lui plairait des objets qu’il désire. Une muraille de la Chine a été érigée autour de nos frontières depuis 1793, et, par cet obstacle, la liberté du travail et de l’industrie n’est plus qu’une moquerie sous le double aspect que je viens de signaler.

En premier lieu, quant à la production de la richesse, il est un grand nombre de matières que les arts emploient sans cesse, et que les marchés étrangers livreraient à des prix modérés, mais que le citoyen français est forcé de prendre sur le marché intérieur, où il les paie cher. S’il en est qu’il obtienne à d’aussi bonnes conditions que l’étranger, ce n’est pas la faute du législateur ; celui-ci, comme s’il eût jugé que le bon marché était un fléau, a essayé d’y mettre ordre de toutes parts. La houille, qui est le pain quotidien de tant d’industries, est assujettie a des droits qu’on ose appeler protecteurs du travail national. La houille de Newcastle convient mieux que celle de nos départemens situés au nord de la Loire à quelques usages, aux chemins de fer en particulier : il faut qu’on s’en passe par amour pour la houille de nos mines, et le service des chemins de fer en est ralenti ou entravé. Quand