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une périlleuse entreprise. Les murs de la ferme avaient un grand développement, le sentier se déroulait sur toute leur surface, et le suivre jusqu’au bout dans les ténèbres, à deux pas d’un ravin creusé à pie n’était pas chose très facile, même pour un cavalier aussi habile que moi. Je n’hésitai pas cependant, et je lançai bravement mon cheval entre les murs de la ferme et le gouffre de Voladero.

J’avais franchi sans encombre la moitié de la distance, quand mon cheval hennit tout à coup. Ce hennissement me donna le frisson ; j’étais arrivé à une passe où le terrain avait juste la largeur nécessaire pour les quatre jambes d’un cheval : retourner sur mes pas était impossible.

— Holà ! m’écriai-je à haute voix, au risque de me trahir, ce qui était moins dangereux encore que de rencontrer un cavalier en face de moi dans un tel chemin, — il y a un chrétien qui passe le long du ravin ; n’avancez pas.

Il était trop tard ; un homme à cheval venait de dépasser l’un des contreforts de pierre qui çà et là rétrécissaient cette route maudite ; il s’avançait vers moi : je chancelai sur ma selle, le front baigné d’une sueur froide.

— Ne pouvez-vous reculer, pour l’amour de Dieu ! m’écriai-je effraya de l’affreux danger que nous courions tous deux.

— Impossible, répondit le cavalier d’une voix rauque.

Je recommandai mon ame à Dieu. Tourner bride faute d’espace, faire à reculons le chemin que chacun de nous venait de parcourir, mettre pied à terre, c’étaient là trois impossibilités qui plaçaient l’un de nous deux en face d’une mort certaine : entre deux cavaliers lancés sur ce sentier fatal, l’un eût-il été le père et l’autre le fils, il fallait évidemment qu’il y eût une proie pour l’abîme. Quelques secondes cependant s’étaient écoulées, et nous étions arrivés en face l’un de l’autre, le cavalier inconnu et moi ; nos chevaux se trouvaient tête contre tête, et leurs naseaux frémissans de terreur confondaient leur souffle bruyant. Nous fîmes halte tous deux dans un morne silence ; au-dessus de nous, s’élevait à pic le mur lisse et poli de l’hacienda ; du côté opposé, à trois pieds du mur, s’ouvrait le gouffre. Était-ce un ennemi que j’avais devant les yeux ? L’amour de la patrie, qui bouillonnait à cette époque dans mon jeune cœur, me le fit espérer.

— Êtes-vous pour Mexico et les insurgés ? m’écriai-je dans un moment d’exaltation et prêt à bondir sur l’inconnu, s’il répondait négativement.

Mexico e insurgentes, voilà ma devise, reprit le cavalier ; je suis le colonel Garduño.

— Et moi le capitaine Castaños !

Nous nous connaissions de longue date, et, sans le trouble où nous étions tous deux, nous n’aurions pas eu besoin d’échanger nos noms. Le colonel était parti depuis deux jours à la tête d’un détachement