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qui, sous prétexte de brouillard, est effacé gomme un pastel sur lequel on promènerait la manche de son habit. Il faut que M. Rousseau ait une bien haute opinion de l’indulgence du public, pour lui présenter en guise de tableaux de semblables décoctions de chicorée.

Il y a dans la jeune école en ce moment-ci plus d’un paysagiste dont le nom n’est pas discuté aussi bruyamment que celui de M. Rousseau, et qui, dans ces à-peu-près vaporeux, réussit aussi bien que lui, sans se donner des allures aussi extraordinaires. La liste en serait longue ; pour n’en citer que quelques-uns, nous n’avons que l’embarras du choix. Ce sera, si l’on veut, M. Haffner ; dont les paysages d’Alsace et de Bade : sont très justes de ton pleins d’ombre et de fraîcheur. Il y a beaucoup d’air et un espace immense dans un petit tableau de M. Catrufo, Souvenir des bords de la Loire. M. Émile Toudouze peint les landes de Bretagne par un temps de pluie ; le ciel a disparu sous un linceul de nuages ; à peine une mince zone éclaircie à l’horizon laisse-elle distinguer une file de bœufs courant sous l’aiguillon d’un cavalier. La même sombre harmonie bretonne est reproduite dans un Paysage après l’orage de M. Villevieille : le terrain noirâtre, la chaumière rouillée y reflètent avec beaucoup de précision les tons ardoisés du ciel. La Mare à Cernay de M. Lambinet, où s’ébattent des canards, un Etang de Ville-d’Avray, sont d’une belle limpidité. M Daubigny fait de charmantes vues de rivières. Dans les Iles vierges à Bezon, la verdure tendre, des grands arbres élégans et allongés se marie doucement avec le gris-perlé des eaux. La touche est moelleuse. Il faudrait seulement un peu plus de relief, des teintes moins plates. M. Chintreuil sait reproduire la profonde sérénité du ciel, quand le soleil a disparu : depuis une demi-heure, et que les objets ne sont plus que des silhouettes. C’est encore un effet, mais ce n’est pas un paysage Il en est de même du Crépuscule si limpide de M. Lefortier. Il y a également un charmant effet de bruyères en fleurs sur le Plateau de Belle-Croix de M. Lavielle. Quelques pointes de rocs coiffées de mousse desséchée et blanchâtre percent à travers la masse rouge de cette moisson de l’automne, et produisent les plus heureux contraste. On regrette que les arbres ne soient pas faits. L’Intérieur de forêt de M. Bodmer est plus étudié. Des arbres dépouillés, d’autres encore garnis de feuilles mortes, quelques ifs et sapins toujours verts se dessinent sur un ciel d’automne ; un troupeau de biches effrayées bondit et fait crépiter les fougères flétries. M. Bodmer a très artistiquement groupé ces tons gris, verts et roux. M. Loubon nous transporte hors de cette nature un peu uniforme qui, pour la masse de nos paysagistes parisiens, a sa plus haute expression dans la forêt de Fontainebleau, et il peint des sites du midi, entre lesquels nous avons remarqué une vue du Pont Flavien, près de Saint-Chamas, à l’entrée de la plaine de la Crau, cette