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À cette époque, il n’avait pas encore changé son nom de Valdivia contre celui de Cureño. Il n’était pas non plus affreusement estropié, comme vous l’avez vu ; le tronc d’un pin n’était ni plus droit ni plus robuste que son corps. Vous avez été à même de juger de sa force herculéenne ; je ne vous en parlerai pas, je me contenterai de vous dire que l’intelligence et le courage égalaient chez lui la vigueur physique. Dans toute circonstance, quelque critique qu’elle fût, Valdivia savait toujours se tirer d’affaire.

— Seigneur capitaine, me dit-il, en s’avançant mystérieusement vers moi enveloppé d’un manteau de dragon espagnol qu’il avait ramassé sur un champ de bataille, je vous apporte une outre avec quelques gouttes d’eau pour vous, l’enfant et sa gardienne ; mais je désirerais que personne ne nous vît.

— De l’eau ! m’écriai-je trop ému en ce moment pour me conformer aux prudentes prescriptions de Valdivia.

— Chut ! donc, reprit-il ; si même vous m’en croyez, vous attendrez pour boire que la nuit soit venue, et, quand vous aurez bu, je vous dirai où il y a de l’eau en abondance, et je vous ferai une proposition qui vous conviendra.

Je tendis la main avec avidité pour saisir l’outre : — Donnez, pour Dieu ! lui dis-je, la soif me consume ; comment pourrais-je attendre jusqu’à la nuit ?

— Dans dix minutes, on ne verra plus clair. Réflexion faite, je garde l’outre ; je n’ai pas envie que des soldats furieux essaient de vous tuer pour vous l’arracher. En attendant, faites seller votre cheval, et vous me rejoindrez sous ce mesquite où est le mien tout bridé. Il nous faudra monter en selle tout de suite ; il nous reste environ cent cavaliers, faites-leur passer l’ordre de nous attendre là-bas dans la plaine. Nous dirons aux sentinelles que nous allons chercher de l’eau, et on nous laissera passer sans donner l’éveil au général.

Valdivia s’éloigna, malgré mes supplications, en emportant l’outre avec lui. Je m’empressai d’exécuter ses recommandations, et à la nuit tombée nos cavaliers, prêts à partir, nous attendaient à l’endroit convenu. Je pris mon cheval par la bride, j’emmenai la femme et l’enfant, et je rejoignis Valdivia. Au lieu de quelques gouttes d’eau qu’il m’avait promises, il me passa une outre pleine et rebondie. J’eus besoin de faire un effort sur moi-même, tant la soif me dévorait, pour ne pas épuiser à moi seul tout le contenu de l’outre ; j’en laissai cependant une ration suffisante pour la femme et le petit Albino, et quand l’outre fut vide :

— Voyons, dis-je à Valdivia, qu’avez-vous à me proposer ?

— D’aller, répondit-il, enlever, avec vos cent cavaliers, une hacienda à deux lieues d’ici, où il y a de l’eau en abondance, et qui est occupée par un détachement espagnol.