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s’explique le penchant toujours plus prononcé qui attire la foule vers les œuvres de nos paysagistes. La vogue qui leur est acquise est tout-à-fait, méritée. Le paysage prend décidément une supériorité incontestable, nous voyons chaque année se grossir le nombre de ceux qui le traitent et le traitent bien. La réaction réaliste ne lui a point été nuisible : elle ne pouvait avoir pour les paysagistes le même danger que pour les peintres d’histoire et de genre. Rien n’est laid dans la nature que ce qui tient à l’homme ou ce que sa main y introduit, et encore lui est-il bien difficile de se garantir de la bienfaisante influence qui corrige, efface sourdement ses conceptions inélégantes, jette un riche manteau sur les pauvretés de son industrie. Si l’on transportait et si l’on abandonnait dans une clairière de la forêt de Compiègne la plus laide maison de nos faubourgs, je ne doute pas qu’en peu d’années l’harmonieuse nature n’en fît quelque chose de très agréable à l’œil : la pluie du ciel, lessivant son badigeon, le remplacerait par une mosaïque de lichens raboteux, de fucus aux mille nuances ; le vent et les oiseaux du ciel ensemenceraient son toit et convertiraient ses cheminées en flots de giroflées ; le liseron des haies, l’aristoloche et la clématite enrouant ses gouttières, quelques jeunes chênes étreignant ses murs, forçant les lézardes de leurs tiges noueuses, substitueraient aux lignes équarries les inépuisables caprices de leur architecture. Dans la langue humaine ; nous appelons cela destruction mais il ne s’agit que de s’entendre sur la valeur des mots. Où en serait notre pauvre planète, si la main de Dieu ne corrigeait sans cesse les sottises dont nous la couvrons sous prétexte d’utilité ou d’ornement ?

La méthode de l’à-peu-près, introduite et soutenue par MM. Diaz, Leleux, etc. n’a point été non plus trop fâcheuse pour le paysage, où, à l’exception des premiers plans, les objets sont indiqués plutôt que délimités à cause de la distance, et où les lignes peuvent varier à l’infini sans choquer la vraisemblance. Au point de vue de la lumière et de la couleur, l’intervention des réalistes a été salutaire dans un genre qui s’était beaucoup ressenti de la sécheresse de l’école impériale. Aussi M. Diaz, qui n’en fait pas métier et qui par passe-temps cherche des paysages dans les raclures de sa palette, M. Diaz est un de nos meilleurs paysagistes. Son plus beau tableau, cette année, est assurément le Soleil couchant. Au centre de la toile, dans le fond, le soleil descend sur l’horizon. Des bandes horizontales de nuages raient son disque rouge et dilate se fondent en quelque sorte dans la fournaise que reflètent les eaux dormantes d’une mare au milieu d’une lande inculte. Quelques bouquets d’arbres rabougris et sauvages complètent cette magnifique scène de couleur. Les terrains du premier plan, à droite et à gauche, sont faibles et mal accusés ; mais quelle gamme splendide depuis le foyer lumineux jusqu’aux dernières dégradations