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à peine visibles et se confondent avec les pavés. Avec une attention soutenue, on n’arrive pas à discerner une tête, un bras, une jambe. Il ne faut pas que, pour chercher des effets larges, M. Meissonier sacrifie la netteté et la précision ; sans cela, que lui restera-t-il ?

En somme, nous n’avons pas un enthousiasme excessif pour ces habiletés qui consistent à peser des neufs de mouche, dans des balances de toile d’araignée. De pareils exercices ne prennent généralement faveur qu’au sein des civilisations épuisées, ou bien auprès des esprits blasés sur l’ordinaire, et des cerveaux étroits. Il faut être Chinois pour s’y passionner. Dès qu’il devient nécessaire de prendre une loupe pour découvrir les mondes de perfection qu’à force de patience vous avez entassés dans un pouce de toile, l’attention se détourne uniquement sur le procédé et le tour de force, votre effet est manqué ; peintre et public s’habituent bientôt à ne plus tenir compte que de la difficulté vaincue ; la peinture se fait industrie, et, à force de se rétrécir en des mièvreries microscopiques, elle descend à l’ornementation des porcelaines et des couvercles de tabatières.

M. Fauvelet, le satellite de M. Meissonier, sera bientôt pour lui un sérieux concurrent Son Ciseleur accoudé sur un établi vaut bien le Joueur de luth, et a moins de sécheresse. La tête est très fine ; on voudrait seulement des cuisses mieux dessinées et mieux posées. – Les précédens ouvrages de M. Penguilly faisaient mieux augurer de lui. Maintenant il tombe dans une manière dure qui semble emprunté aux Allemands et à la gravure sur bois. Il y a cependant toujours des qualités de dessin dans le Dimanche avant Vêpres, le Lansquenet ivre et dans plusieurs petits thèmes fantastiques, qui montrent que l’auteur aime à rêver au clair de lune : le Sabbat, la Danseuse et le feu follet, le Clair de lune. Après tout, mieux vaut dessiner avec un clou que ne pas dessiner du tout, et le danger aujourd’hui n’est pas du côté où se jette M. Penguilly.

Aussi nous intéressons nous extrêmement à l’entreprise de M. Gérôme. Ce jeune peintre, remontant le courant général, est un des rares fidèles chez qui l’on retrouve le culte du dessin et les saines traditions de l’art. On se souvient du début de M. Gérôme. Son Combat, de coqs le plaça dans les premiers rangs. Aujourd’hui les renommées en tous genres se fondent vite : un discours, un acte joliment tourné, un premier tableau, font du soir au lendemain d’un inconnu un orateur, un homme d’état un poète dramatique ou un peintre. Malheureusement cette bienveillance de premier abord ne se soutient pas ; le retour est aussi prompt que l’avait été l’engouement et l’artiste trop tôt bercé tombe de toute la hauteur d’un espoir exagéré. Il s’en faut que les deux tableaux de M. Gérôme, un Intérieur grec, Bacchus et l’Amour ivres, portent le charme, la saveur de nouveauté qui fit le succès du Combat