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Nul ne s’entend en maçonnerie comme M. Decamps. Nous avons de lui un Intérieur de cour humide, où barbottent quelques canards. Le premier plan et les parties basses sont dans une ombre, fraîche et transparente. Au fond, une muraille plus élevée reçoit le soleil, un soleil du midi, large, splendide, qui fait scintiller comme des cristallisations chaque rugosité du crépissage. Ce mur blanc est surmonté d’un toit de briques qui se détache avec une vigueur et une harmonie surprenantes sur le bleu du ciel. Une petite servante portant un seau d’eau est très adroitement posée et finement peinte. Ah ! monsieur Courbet, que dites-vous de tant de science et de tant de ressources prodiguées en des sujets si vulgaires ? Les Pirates grecs sont encore plus délicatement traités ; ils sont trois, dans leurs plus pittoresques costumes, fumant leur chibouck sur des ballots, à l’encoignure d’une de ces cavernes au bord de la Méditerranée où les goëlands vont faire leurs nids ; le jour glisse obliquement sur les parois imprégnées de l’haleine de la mer, et va mourir dans le fond par une dégradation suave. À droite, on aperçoit, à travers l’ouverture, la plage éclairée par le soleil et un petit filet bleu de mer dans le lointain où se balance la voile triangulaire d’un chebeck. Dans une toile de six pouces, M. Decamps a mis un espace immense.

La Fuite en Égypte et le Repos de la sainte Famille sont des paysages à personnages bien composés et supérieurement peints. Le premier me semble préférable ; il est moins chargé de chrôme. M. Decamps abuse un peu du chrôme pour ses fonds : c’est un des principaux défauts de sa Rébecca. En traitant d’après Poussin la rencontre d’Éliézer et de Rébecca à la fontaine, M. Decamps, l’orientaliste par excellence : a dû revêtir le sujet de toute sa couleur locale. Autrefois on se souciait fort peu de la couleur locale : les Grecs de Racine se parlent comme on se parlait à Marly, et Véronèse ne s’est pas gêné pour habiller des Galiléens à la vénitienne. Qu’importe ? Phèdre et les Noces de Cana n’en seront pas moins éternellement des chefs-d’œuvre. En littérature, la couleur locale est un accessoire inutile, souvent nuisible, car après un certain temps il donne à un ouvrage des airs surannés : l’admiration des siècles consacre ceux-là seulement dont le succès ne repose que sur l’expression des passions et des sentimens, toujours jeunes, toujours nouveaux, du cœur humain. En peinture, on peut moins s’en passer, les exigences du public à cet endroit sont impérieuses. Nous ne tolérerions plus aujourd’hui en une scène orientale un costume de marchand de pastilles du sérail semblable à celui que Poussin a donné à son Éliézer. M. Decamps est un de ceux qui ont le plus contribué à nous rendre difficiles sous ce rapport, car c’est lui le premier qui a importé en France l’Orient véritable, et non l’Orient des bassas et des mamamouchis, dont se contentait la nonchalante érudition