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leur jettent les vagues, nous nous sommes vivement rappelé les sauvages de Plougoff, les pointes sinistres de Penmarck, du Raz-de-Sein et de la Baie des Trépassés, sans cesse voilées dans un linceul de brume à travers lequel retentit la plainte éternelle de la mer et du vent.

M. Dumaresq a une couleur tout aussi éclatante et un dessin bien plus soigné que M. Luminais. Son Boucher est une excellente étude, puisque M. Dumaresq a le bon sens de ne nous le donner que comme une étude. MM. Besson, Pezous, Tabar, Nègre, Vattier, sont moins modestes, et ils se tiennent pour très contens de leurs à-peu-près ; aussi tous se ressemblent. En quoi M. Pezous diffère-t-il de M. Tabar, et M. Tabar de M. Nègre ? La Salle de police du premier est moins empâtée que l’Intérieur de basse-cour du second, et le troisième a peint dans un coin des halles une Marchande de haricots faisant manger la soupe à son poupon, qui possède les mêmes qualités chatoyantes. Il en est de même de la Rencontre de M. Besson, de la Lecture de M. Villain, et d’une foule d’autres ouvrages plus ou moins lâchés. M. Millet, dans la même voie, procède par empâtemens forcenés : il crépit ses tableaux qui, vus de profil, ressemblent à des cartes géographiques en relief. Voilà ce qui peut s’appeler de la peinture solide ! Ces épaisseurs et tout ce mastic ne donnent pas plus d’éclat au coloris de M. Millet, qui semble plutôt prendre à tâche d’étouffer ses figures dans une vapeur chaude et lourde.

M. Adolphe Leleux, au contraire, a une touche des plus légères ; le grain de la toile apparaît sous sa couleur hardiment : posée et d’un seul jet. Au milieu de tous ces jeunes artistes que son exemple a contribué à entraîner, M. Leleux reste encore le plus habile, dans l’art de manier la brosse ; malheureusement il outre de plus en plus ses défauts. Pas un trait pas un linéament dans ces contours éraillés : ce ne sont que festons, ce ne sont que bavochures. Il n’est pas étonnant que, pour peindre de la sorte, M. Leleux recherche les bourgerons noircis et les pantalons frangés du faubourg. La Patrouille de nuit est le pendant du Mot d’ordre du dernier salon. Quatre ou cinq cavaliers en casquette et en blouse, le sabre au poing ou le fusil en bandoulière, s’abouchent sur un quai de Paris avec une sentinelle déguenillée. Le jour commence à poindre, et à travers le brouillard humide et terne les personnages ne sont guère plus accusés que des silhouettes. La gamme une fois acceptée, on trouve cela d’un sentiment pittoresque ; mais le pittoresque n’est pas une excuse à tout : il ne corrige pas suffisamment l’expression forcenée et repoussante de la Sortie (février 1848). M. Leleux, du reste, sait fort bien, quand il veut, le trouver ailleurs, aux Pyrénées ou en Algérie : sa Famille de Bédouins attaquée par des chiens en est une preuve. Ces Bédouins, assaillis à l’entrée d’un douar, ont été obligés de se former en rond, et ils écartent avec leurs bâtons et