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n’inspirent pas le plus faible intérêt. Si ce sont des portraits de famille, laissez-les à Ornus. Pour nous, qui ne sommes pas d’Ornus, nous avons besoin de quelque, chose de plus qui nous attache. Ce qu’il fallait éveiller chez le spectateur, c était le sentiment naturel qui accompagne une pareille scène ; or, ce n’est pas précisément l’effet obtenu par vos grotesques caricatures. On ne pleure guère devant cet enterrement, et cela prouve bien que la vérité n’est pas toujours vraie.

C’est grande pitié qu’en l’an 1851 on soit réduit à faire la démonstration des principes les plus élémentaires ; à répéter que l’art n’est pas la reproduction indifférente de l’objet le premier passant, mais le choix délicat d’une intelligence raffinée par l’étude, et que sa mission est, au contraire, de hausser sans cesse au dessus d’elle-même notre nature infirme et disgraciée. Ils se sont donc trompés, — tous les nobles esprits qui, de siècle en siècle, ont entretenu dans l’ame de l’humanité le sentiment d’une destinée supérieure, — et nous aussi qui devant leurs chefs d’œuvre nous sentions allégés, heureux de dérober quelques heures à la pesante réalité ! Voici venir les coryphées de l’ère nouvelle qui nous rejettent brutalement la face contre cette terre fangeuse, udam humum, d’où nous enlevait l’aile de la poésie. Ils nous ramènent à la glèbe, ces prétendus libérateurs, et, pour ma part je n’imagine pas de contrée si barbare dont le séjour ne fût préférable à celui d’un pays où ces sauvages bêtises viendraient à prévaloir.

Par suite de ce système de peindre les objets tels qu’on les rencontre, et d’écarter tout ce qui pourrait avoir l’air d’une combinaison, les tableaux de M. Courbet ne présentent ni jour ni ombre, et ont un aspect extrêmement plat. La perspective n’y est pas plus soignée que l’effet ; je ne sais pourquoi, est-ce aussi avec intention ? En attendant que la raison nous en soit révélée, nous admettrons que c’est par maladresse. M. Courbet fait également des portraits. Pour le coup, on peut lui prédire qu’il n’aura pas grande vogue ; aussi voyez vous qu’il n’a trouvé pour modèles que lui-même et un excentrique personnage dont la théologie doit s’entendre avec l’esthétique du peintre. Le portrait de M. Jean Journet en Juif errant, le sac au dos, la gourde en sautoir, un bâton à la main, est du reste le meilleur ouvrage de M. Courbet ; il est peint avec une furie espagnole franc goût. Quant à M. Berlioz qui se trouve, on ne sait comment, fourré dans cette bagarre, on prétend qu’il ne voulait pas d’une telle portraiture, et qu’il s’en défendait comme un beau diable ; mais, bon gré mal gré, il a été exécuté, et, en le voyant, on comprend aisément sa répugnance.

Dans la section du laid, M. Antigna suit M. Courbet mais de bien loin. Il n’est pas encore de force et a des progrès à faire. Ses Enfans dans les blés, ses petites filles ramassant du bois mort dans le tableau de l’Hiver, laissent voir un certain arrangement et des velléités de compositions