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peu qu’on n’y prenne garde, les arts plastiques en seraient réduits à n’exprimer plus des idées, mais seulement des sensations.

Une femme d’esprit a dit néanmoins excellemment : « Le but de la peinture et de la sculpture doit être d’inspirer aux hommes de belles pensées la vue de belles images. » Voilà une noble définition qui peut servir de criterium dans l’appréciation des œuvres d’art. On peut l’appliquer au salon de 1850, en y ajoutant comme corollaire que toute image qui éveille en l’esprit de celui qui la contemple une pensée vulgaire, un sentiment ignoble, est par cela même mauvaise, ou tout au moins défectueuse, quelle que soit d’ailleurs la vérité avec laquelle elle est rendue. Ceci met mal à l’aise les gens à système, les prôneurs de modes passagères, ceux. Qui confondent l’agréable avec le beau et ceux qui purement et simplement glorifient le laid.


I

Qu’en pense M. Courbet ? mais d’abord M. Courbet prend-il ses tableaux au sérieux ? Nous aurions voulu nous persuader le contraire ; malheureusement, il paraît qu’il a foi dans son entreprise. Il y a de M. Courbet un portrait peint par lui même, et qui, par parenthèse, est bien entendu comme couleur, largement et délicatement touché. Sous ce masque prétentieusement inculte, nous avons cherché à démêler quelle pouvait être la pensée de l’artiste dont les ouvrages résument le plus orgueilleux et le plus parfait mépris de tout ce que le monde admire depuis qu’il existe. Faut il le dire ? ces paupières mi-closes, ce regard endormi jeté par dessus l’épaule, ne trompent pas. Évidemment, M. Courbet est un homme qui se figure avoir tenté une grande rénovation, et ne s’aperçoit pas qu’il ramène l’art tout simplement à son point de départ, à la grossière industrie des maîtres imagiers. J’ai entendu dire que c’était là de la peinture socialiste. Je n’en serais pas surpris, le propre de ces sortes de doctrines étant, comme on sait, de donner pour grandes découvertes et derniers perfectionnemens les procédés les plus élémentaires et toutes les folies qui, depuis le commencement du monde, ont traversé la cervelle de l’humanité. Dans tous les cas, tant pis pour le socialisme ! les tableaux de M. Courbet ne sont pas pour le rendre attrayant.

M. Courbet s’est dit : A quoi bon se fatiguer à rechercher des types de beauté qui ne sont que des accidens dans la nature et à les reproduire suivant un arrangement qui ne se rencontre pas dans l’habitude de la vie ? L’art, étant fait pour tout le monde, doit représenter ce que tout le monde voit ; la seule qualité à lui demander, c’est une parfaite exactitude. Là-dessus, notre penseur plante son chevalet au bord d’une grande route, où des cantonniers cassent des pierres : voilà un tableau