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pas la science, qu’elle n’a pas même aujourd’hui la patience d’attendre ! Mais les regrets sont en tous genres la chose du monde la plus superflue. Il faut remplacer les préjugés qui sont tombés par les convictions, et les habitudes qui sont perdues par la règle librement acceptée. En supposant même que depuis que la raison a secoué si violemment le joug de la religion, elle n’ait fait que des fautes et mérité que des châtimens, les fautes elles-mêmes et les châtimens instruisent ; c’est encore là une des plus grandes écoles de ce monde. Si la science du mal a beaucoup marché, il faut que la science du bien, pour la rejoindre, avance du même pas. Voilà pourquoi sans doute autrefois le même arbre portait les fruits de l’une et de l’autre. Quand l’enfant prodigue pardonné était assis au foyer paternel, il ne se livrait pas sans doute aux mêmes jeux, et ne récitait pas les mêmes prières qu’au pied du berceau de son enfance. Je ne sais quoi d’inquiet devait briller encore dans son regard terni par les larmes. Sur son front sillonné par la débauche, la réflexion aussi avait laissé son empreinte. C’est cette curiosité réfléchie, qui veut aller au fond des choses, naturelle aux gens qui ont beaucoup vécu, que les défenseurs de la religion doivent s’efforcer de satisfaire chez une société qui, a beaucoup appris, parce qu’elle a beaucoup souffert. Est-il vrai d’ailleurs que de ce développement de la raison, qui fait notre caractère distinctif, la religion ne puisse rien tirer à son profit, et qu’elle doivent tout frapper d’une même anathème ? Rien ne nous réduit à un tel aveu. Nos lois, nos institutions, nos mœurs sont, nous l’avons dit, les œuvres de la raison, mais d’une raison élevée, formée, dilatée par quatorze siècles de catholicisme. L’empreinte de cette longue éducation est partout visible ; il ne s’agit que de la mettre en relief. La religion chrétienne peut s’accommoder de toutes les œuvres rationnelles de notre société moderne, car il n’en est aucune qui ne soit indirectement sortie d’elle. Le labarum de Constantin, arboré pour la première fois sur une basilique romaine, dut sans doute étonner les regards ; mais, sur le frontispice de tous nos monumens, il ne faut qu’une main intelligente pour faire reparaître la trace effacée de la croix.


ALBERT DE BROGLIE.