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entre les mains des lecteurs. Une vaste contrefaçon belge les répand chaque jour en Europe. C’est un fait assurément fort curieux que le sort d’un livre offert ainsi au public restreint d’une ville de province, et qui, remontant le cours naturel des idées, a fait tranquillement son chemin de Bordeaux à Paris, pour prendre place au foyer de plus d’une famille et dans le cabinet de plus d’un homme d’affaires. Le silence gardé sur compte même par beaucoup de journaux religieux ajoute à cette singularité. Il n’y a point eu de caprice de mode, point d’esprit de parti pour le faire valoir. C’est de 1843 à 1848, au milieu des vives préoccupations de l’opposition politique, pendant que la lave révolutionnaire fermentait sous nos pas, c’est au bruit des productions d’une littérature insensée ; qui attestait en l’enflammant, le délire des intelligences, qu’il s’est trouvé en France des lecteurs nombreux pour un ouvrage de longue haleine, d’une composition calme, d’un tissu solide, dont le titre seul éloignait tout intérêt de curiosité. Rien n’atteste mieux de combien de courans contraires est incessamment traversé le sol instable et tourmenté de notre France. L’explosion qui, en balayant tout à la surface, a laissé voir au jour toutes ses veines, permet d’étudier ce travail intérieur avec une clarté inaccoutumée.

Nous ne ferons pas tort au mérite, à notre avis, très distingué, de l’ouvrage de M. Nicolas, en recherchant, en dehors de son contenu même, la première cause d’un succès si original. Ce qui a valu aux Études philosophiques l’estime sérieuse qu’elles ont conquise, c’est moins encore le rare talent de l’auteur que l’intelligence qu’il a montrée du public auquel il avait affaire. C’est surtout la franchise avec laquelle sont comprises et remplies les saines conditions d’une apologétique chrétienne présentée à la société française du XIXe siècle. Malgré de remarquables qualités de style, — une chaleur naturelle élevée par momens jusqu’à l’éloquence et toujours exempte de déclamation, -une imagination vive et pourtant sobre, et enfin, ce qui fait le charme principal d’un écrivain. Au rapport exact, personnel, pour ainsi dire, entre la pensée de l’auteur et son langage, point de phrases de convention, point d’expressions puisées dans le répertoire commun des idées courantes, tous ces mérites réunis ne font point encore de l’ouvrage de M. Nicolas, à proprement parler, un ouvrage littéraire. Préoccupé de convaincre, l’auteur va souvent plus avant et plus loin qu’il ne faudrait uniquement pour plaire. Bien qu’il porte dans les questions morales deux vraies qualités de philosophe, la sagacité et le bon sens, son œuvre n’est pas non plus rigoureusement philosophique dans I’acception un peu pédantesque que, d’après l’Allemagne et ses imitateurs nous donnons aujourd’hui à ce mot. Il n’a point ce cortège parfois pesant d’érudition que l’école éclectique a ramassé dans ses constantes excursions à travers toutes les erreurs passées de l’esprit humain. Il