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flûte et de son tambourin, marche en se dandinant autour de la hutte. Ses parens, sa femme, ses enfans le suivent, grands et petits, un mouchoir à la main. De temps à autre, chacun tourne sur soi-même en poussant des cris aigus. Cette promenade dure trois jours. Pendant tout ce temps, le mari souffle dans sa flûte et bat du tambour ; la famille tourna et crie. C’est là pour les Indiens le souverain plaisir du carnaval.

Lampa est une petite ville où je fus très surpris de rencontrer ce qu’on ne trouve guère dans les montagnes du Pérou, une maison comfortable. Cette maison, il est vrai, est celle d’un, étranger. Un Anglais, chirurgien-major dans l’armée des indépendans, s’est trouvé là perdu au milieu de ces populations d’Indiens et de métis. Il se fait aujourd’hui un revenu considérable en procurant aux mineurs des environs de Lampa des fers, du vif-argent et d’autres articles. Il est fort respecté et fort aimé dans la province. Je fus d’autant plus charmé de l’élégante et cordiale hospitalité que je trouvais chez lui, que j’arrivais à Lampa après avoir essuyé pour la première fois un orage des Cordilières. Des grêlons énormes, une pluie battante et des coups de tonnerre presque incessans, rien ne manquait à cette tempête ; c’était bien l’ouragan des Andes dans toute sa violence effrayante, mais aussi dans toute sa sinistre beauté.

Au moment où je passais à Lampa, un corps de troues qui allait rejoindre la division du colonel Saint-R… occupait le pays depuis plusieurs jours. Les soldats agissaient comme en pays ennemi. Chevaux, mules, bestiaux, fourrages, vivres, ils réclamaient et prenaient tout au nom de la patrie. Au nom, de quelle patrie, c’est est ce qu’il il eût fallu savoir ; mais la question eût été assez difficile à résoudre dans un pays partagé entre trois présidens, une convention, un congrès général et trois ou quatre corps d’armée. Le lendemain de mon arrivée à Lampa était un mardi, le mardi gras, et les préoccupations politiques faillirent un moment avoir le pas sur les divertissemens traditionnels. Dès le matin, on avait rassemblé sur la place du bourg la garde nationale, conviée de tous les points de l’arrondissement. Il s’agissait tout simplement d’enrôler les simples gardes nationaux en masse ; quant aux officiers, on leur offrait le grade de sergent et la perspective séduisante de trois jours et trois nuits de pillage lors de l’entrée dans Arequipa de l’armée présumée victorieuse. Ceux que cette proposition n’émerveilla point furent remerciés et congédiés, après avoir préalablement fait l’abandon forcé de leur cheval avec son équipement un poncho et des pièces de leur vêtement qui pouvaient convenir à quelque officier plus zélé. Puis on procéda à une opération que, dans nos pays, nous appellerions la marque. Chaque garde national devenu soldat eut les cheveux coupés ras et les deux oreilles percées ; la dernière opération ne s’exécuta pas sans grimacés ni plaintes.