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J’avais pris goût, en Bolivie, à l’étude des antiquités américaines ; depuis long-temps on me signalait Cusco comme la ville du Pérou la plus riche en monumens de l’époque des Incas : aussi avais-je hâte de franchir l’espace qui me séparait de cette curieuse et vénérable cité.

Attuncolla, Lampa, Tinta, Pucuta, Urcos, Piquillacta, tels sont les noms des bourgades et des principaux villages que durant vingt jours de trajet on rencontre de Puño au Cusco. C’est le 8 février que j’arrivai à Attuncolla, après avoir traversé, les yeux fixés sur le magnifique amphithéâtre des grandes Cordilières, des campagnes inondées par les pluies de la saison d’hiver. Pendant cette saison, qui dure au Pérou quatre mois, de décembre en avril, il pleut presque tous les jours depuis quatre heures du soir jusqu’au matin. Attuncolla est une paroisse de douze cents habitans, située à une lieue de ruines célèbres qui couvrent le plateau d’une haute montagne baignée par le joli lac de Celustana. De nombreuses chulpas, plusieurs tours rondes et carrées d’une construction parfaite, font des ruines d’Attuncolla, encadrées d’ailleurs dans un ravissant paysage, un des groupes d’antiquités les plus remarquables du Pérou. Cette montagne, couverte de tombeaux, autorise à croire qu’une ville florissantes s’élevait aux environs. Nulle part cependant on ne rencontre les traces de la cite qui déposa ses morts dans ces magnifiques sépultures. La tradition fait régner sur les bords du lac de Celustana un prince puissant, qui accepta par conviction la religion et la suzeraineté des Incas ; elle rapporte aussi que le lac a englouti la résidence de ce prince ; et qu’il en couvre aujourd’hui l’emplacement. Toute surnaturelle et invraisemblable que soit une pareille donnée, l’esprit a besoin de l’adopter : cette ville de tombeaux au milieu d’un désert, ces populations dont personne n’a recueilli l’histoire et dont on sait à peine le nom, c’est un mystère qui confond et défie toutes les spéculations de l’antiquaire.

C’est une singulière chose qu’un voyage au Pérou dans la saison des pluies. Imaginez un lac qu’il faut traverser à cheval avec de l’eau jusqu’aux sangles et souvent jusqu’à la selle de sa monture. D’Attuncolla à Lampa, il y a trois rivières à traverser. Quand nous arrivions au bord d’une de ces rivières, on déchargeait les mules, qu’on poussait à l’eau avec de grands cris. Les mules arrivaient tant bien que mal de l’autre côté, après quoi nous passions à notre tour sur de mauvaises balzas. Dans les villages que nous traversâmes, je remarquai que les Indiens étaient en fête, et je me rappelai que nous étions au lundi gras. Les Indiens célèbrent ce jour en buvant de la chicha et de l’eau-de-vie ; ils frappent sur leurs tambours et soufflent dans leurs flûtes de roseau, le tout sans la moindre intention musicale. Des mouchoirs et des lambeaux d’étoffes attachés au bout d’une perche flottent au-dessus de toutes les cabanes. Le chef de la famille, armé de sa