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victoire : complète en effet, car, pendant que les hommes de Gamarra quittaient Lima, Orbegoso avait pris la forteresse du Callao, sans trop de peine, il est vrai. Il n’était resté dans cette forteresse, que tout juste assez de monde pour en fermer les portes. Dès l’explosion des troubles, cinq ou six généraux de partis différens étaient montés à cheval, suivis chacun de cinq ou six aides-de-camp, et avaient couru à bride abattue sur le Callao pour en prendre possession au nom d’un drapeau quelconque : c’était Orbegoso qui était arrivé le premier dans cette course au clocher, et il s’était empressé de fermer la porte au nez de ses collègues moins alertes que lui. Une fois maître du Callao et de Lima, Orbegoso avait travaillé à constituer une sorte de gouvernement légal avec les débris de la convention restés à Lima, et son premier soin avait été de réunir des soldats, en usant largement des ressources que lui offrait la conscription telle qu’on la pratique au Pérou.[1]

Ainsi d’un côté l’ex-président Gamarra exploitant, les mines du Serro de Pasco en attendant l’heure d’entrer en campagne, de l’autre le président de Pasco en attendant l’heure d’entrer en campagne, de l’autre le président Orbegoso évoquant un fantôme de convention afin de se créer une armée par les voies légales, tel était le spectacle que m’offrait le Pérou à mon retour de Bolivie, spectacle qui contrastait singulièrement avec le calme où j’avais laissé la république voisine. Mon ami, le colonel Saint-R… était un chaud partisan de Gamarra ; il attendait ses ordres pour le rejoindre et pour marcher sur Aréquipa. Les départemens du littoral, Truxillo, Lima, Arequipa, s’étaient prononcées pour Orbegoso et la convention ; les départemens des montagnes, Ayacucho, Cusco, Puño, tenaient pour Gamarra et le mouvement. Je n’en persistai pas moins dans mon projet de voyage. Le colonel me donna un sauf-conduit qui me proclamait mui caballero et qui devait me faire respecter des troupes des deux partis, à moins : que je ne tombasse entre les mains d’un certain colonel S…, vrai picaro, qui, détestant Saint-E…, serait enchanté de le désobliger en me jouant quelque tour de sa façon. Je me le tins pour dit, et je partis pour le Cusco en me recommandant à la Providence.

Une fois sur le grand chemin, j’oubliai les tristes querelles qu’on s’était efforcé, à Puño, de me présenter comme des événemens politiques.

  1. Je pus juger moi-même à Puño, par les moyens qu’employaient les partisans de Gamarra, des expédiens dont les partisans d’Orbegoso ne devaient pas se faire faute. Les soldats d’un régiment très dévoué à l’ex-président allaient pendant la nuit cerner les villages voisins de la ville. Au matin, les recruteurs pénétraient dans les maisons des paysans, choisissaient les hommes valides, les attachaient avec des cordes, et les ramenaient poings liés à Puño. Là, on leur coupait les cheveux et on leur perçait les oreilles pour les reconnaître et les fusiller en cas de désertion. Les conscrits étaient enfermés dans une église transformée en caserne, d’où ils ne sortaient que pour faire l’exercice deux fois par jour. Quelques jours de ce régime suffisaient pour faire un soldat dans un pays où, en fait d’instruction militaire on n’y regarde pas de si près.