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dont les pouvoirs expiraient, avait voulu être réélu, il avait pour lui une partie de l’armée et quelques membres de la convention qui, se souvenant d’avoir vu bien souvent des baïonnettes entrer dans la salle des délibérations, craignaient que la même piété ne se jouât une fois de plus à leurs dépens et au bénéfice de Gamarra. Les baïonnettes péruviennes sont peu intelligentes. Dire au général Gamarra « Nous ne vous réélirons pas une… seconde fois président, » c’était lui donner la tentation de mettre, selon l’habitude des hommes d’état péruviens, l’armée de moitié dans la partie. Aussi les membres les plus influens de la convention avaient-ils promis à Gamarra de travailler à sa réélection ; mais, le scrutin dépouillé, il s’était trouvé que l’espoir des principaux membres de la convention avait été trompé : l’élu de la nation était le général Orbegoso. Gamarra, en avait aussitôt appelé à l’armée, qui s’était ralliée autour de lui ; la convention avait été dissoute ; les députés et les sénateurs les plus récalcitrans avaient été jetés en prison, et l’ami de Gamarra, le général Bermudes, s’était vu proclamer président de la république.

L’émotion produite par ce coup d’état de Gamarra était loin d’être apaisée, quand j’arrivai à Puño. La guerre civile avait suivi de près la révolution militaire provoquée par l’ex-président. Le général Gamarra avait quitté Lima pour marcher sur le Serro de Pasco, la mine la plus riche du Pérou, comptant là se procurer sur place, de gré ou de force l’argent nécessaire pour assurer le succès de son entreprise. Il n’avait laissé à Lima que trois cents hommes, pensant que cette faible garnison suffirait pour contenir une population connue par sa mansuétude ; mais il s’était trompé. Lima renferme cinquante mille habitans ; les Liméniens s’étaient comptés et s’étaient jugés capables de venir à bout des trois cents hommes de Gamarra. Encouragés en effet par le nouveau président Obregoso, ils avaient, après un assez ridicule essai de barricades,[1] réussi, non point à faire prisonniers les trois cents soldats de Gamarra, mais à obtenir qu’ils sortissent de la ville, ce que les soldats, impatiens de rejoindre leur général au Serro de Pasco, s’étaient hâtés de faire. Après ce brillant exploit, la ville avait été illuminée ; trois jours durant, les cloches n’avaient cessé de sonner à toute volée ; on s’était embrassé beaucoup, et l’on avait dansé une foule de lundous et de mismis pour célébrer cette grande et complète

  1. Il n’y a pas à Lima d’obmnibus à mette au service de l’émeute comme dans notre bonne ville de Paris. Les rues sont larges et pavées de petits cailloux. Quand les Liméniens voulurent élever des barricades pour répondre au défi que leur jetait Gamarra, ils s’aperçurent un peu tard que les matériaux leur manquaient. Apres avoir défoncé trois ou quatre rues, ils allèrent demander poliment aux maîtresses des maisons voisines leurs canapés et leurs commodes. Cette demande fut partout très mal accueillie, et l’idée des barricades fut abandonnée.