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dansa très gaillardement une samacueca, accompagnée des battemens de main et des anda ! anda ! de l’assistance. Je me fis dicter un de ces yaravis de la langue aymarienne ; en voici la traduction littérale :

De fleur en fleur.
Un petit oiseau qui volait chantait :
- Pourquoi m’as-tu captivé,
Dis-moi, voleuse de mon cœur ?
Avec la fausse attache de tes yeux,
Tu m’as attaché sur ton cœur ;
Délivre-moi ! que je continue à voler
De fleur en fleur.
Quel cœur de pierre as-tu donc,
Que tu ne saches pas compâtir,
Et m’enfermes dans une cage ?
Disait l’oiseau qui volait.
En me voyant dans tes mains,
Tu m’as attaché sur ton cœur :
Pour me faire souffrir ainsi,
Pourquoi m’as-tu captivé ?
- Approche-toi vite d’ici,
Toi qui fais pleurer les gens,
Et ce que je te dois,
Dis-le-moi, voleur de mon cœur !

Le bal, égayé par ces chansons et inauguré par le jeune prêtre, ne tarda pas à devenir fort bruyant. Je jugeai que le moment était venu de m’esquiver, et je rentrai au logis, bourré jusqu’aux oreilles de confitures et de piment. Deux jours après cette fête bolivienne, j’étais de retour à Puño, rapportant de mon excursion dans le pays des Aymariens quelques notions, quelques idées nouvelles sur une société sœur de celle du Pérou, sur les monumens d’une civilisation moins connue et plus curieuse peut-être que celle des Incas.


II. – LE HAUT-PEROU.

Il est de ces contrastes auxquels il faut s’habituer quand on parcourt l’Amérique du Sud : j’avais laissé le Pérou à l’état d’anarchie, je le retrouvais à l’état de guerre civile. Comment continuer mon voyage ? Telle était la question que j’adressais à un de mes amis de Puño, officier dans l’armée péruvienne, le colonel Saint-R… ; cet officier me répondit par une relation détaillée des événemens qui s’étaient passés au Pérou pendant mon voyage en Bolivie.

Au moment de mon départ pour la Bolivie, la période fatale des élections présidentielles commençait pour le Pérou. Le général Gamarra,