Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/883

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’air, la petite momie se réduisit en poussière. Elle était entourée de vases affectant, pour la plupart, la forme des lacrymatoires étrusques aussi nombre de topos, longues épingles avec lesquelles les femmes du pays rattachent aujourd’hui encore sur leur poitrine le châle carré qu’elles portent sur les épaules. Deux autres puits furent ouverts, mais ils ne contenaient que des ossemens à nu, des vases pauvres et communs, et quelques topos en cuivre. Il paraît que les gens enterrés là appartenaient à des familles peu riches.

Les Indiens, soit terreur superstitieuse ou respect pour les ossemens de leurs ancêtres, ne voulaient pas descendre dans ces fosses : il fallait me charger de l’opération, et déblayer les ossemens qui recouvraient les vases et les topos. Alors ces pauvres gens ramassaient les os, et, quand nous passions à une autre tombe, ils profitaient du moment où j’avais le dos tourné pour les replacer à l’endroit d’où je les avais tirés, non pas sans y jeter une poignée de mais grillé, ainsi qu’une pincée de feuilles de coca. Les Indiens portent toujours avec eux un sac rempli de maïs et de coca. Mes travailleurs restèrent, fort surpris, quand je leurexpliquai que j’honorais ce culte pour la mémoire de leurs ancêtres. Je dois avouer que, lorsque je vis ces pauvres Indiens ramasser avec respect ces ossemens, je me demandai si j’avais bien le droit de faire ouvrir ces tombes par les descendans de ces mêmes morts, les légitimes possesseurs du pays, et de profaner leur cendre à la seule fin de satisfaire ma curiosité, et, comme je n’avais pas grand’chose à répondre, je me mis à fumer et à regarder devant moi. J’avais sous les yeux un fort beau tableau : cette petite plaine est de trois côtés terminée par des montagnes, et une branche du lac la ferme à l’est. La cime neigeuse du mont Sorate, haut de trois mille neuf cent quarante-huit toises, domine et complète dignement ce majestueux paysage.

Le soleil couché, je retournai à la ferme après une journée passée on ne peut plus rapidement. Les Indiens avaient constamment travaillé, et pourtant ils n’avaient fait que peu de besogne : ils n’avaient pour creuser la terre qu’une courte pioche en bois, terminée par un morceau de fer long d’un pied et attaché par une courroie au manche de la pioche : c’est le seul instrument d’agriculture avec lequel ils remuent la terre pour faire leurs semailles. Il règne continuellement sur toute l’étendue de ce vaste plateau une bise glacée, qui gèle souvent les récoltes avant qu’elles soient arrivées à maturité. Il faut pour les mener à bien que les champs d’orge et de pommes de terre soient abrités par les montagnes courant dans une bonne exposition. La charrue est impossible dans de pareils terrains, et le labourage se fait à force de bras, toujours avec cette misérable pioche. Sur les pentes des montagnes où il est resté un peu de terre, les Indiens élèvent des terrasses en gradins pour la retenir, et ce soin a pour but non de cultiver des fleurs