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de distance ; c’est un roc perpendiculaire de granit dont le sommet est éternellement couverts de neige. Il fait partie de la grande Cordilière qui sépare le haut plateau des vallées où commencent les immenses forêts qui s’étendent jusqu’aux bouches de l’Amazone. Au coucher du soleil, l’aspect de cette montagne est admirable.

À mon arrivée à la Paz, j’avais été droit au tambo de la Fille où j’avais fait décharger mes mules, et alors seulement j’avais fait porter mes diverses lettres de recommandation. Le général. B… Allemand au service de Bolivie, avait bien voulu m’offrir sa maison et sa table ; mais j’étais déjà installé dans le tambo, et de ses offres je n’acceptai que la dernière, la ville étant tout-à-fait dépourvue de restaurant. Le tambo de la Paz est un véritable caravansérail d’Orient, avec sa cour entourée de petites chambres et son premier étage soutenu par des arcades moresques. La famille du propriétaire du lieu habitait cet étage, et il fallut bien me contenter de deux chambres obscures, éclairées seulement par une porte donnant sur la cour. L’on m’envoya des tapis et quelques meubles qui me procurèrent un demi-comfort. Cet arrangement me donna toute liberté de flâner dans la ville, ce qui est plutôt une fatigue qu’un plaisir à cause de la pente rapide des rues. Les fêtes de Noël avaient mis la population en mouvement, et la foule se portait dans les maisons où l’on savait que de petites crèches étaient exposées à la respectueuse admiration du public. Ici les grandes personnes, comme les enfans en Europe, préparent des reposoirs pour les fêtes de Noël. La padrona du tambo avait installé sur une large table une quantité de joujoux de Nuremberg, des terres cuites d’Angleterre, des pots de fleurs, de petits braseros de filigrane d’argent, huit ou dix cierges d’église une petite crèche avec quatre poupées, dont un âne, le tout doré. Cette petite chapelle attirait force visiteurs et valait à la padrona de pompeux éloges qu’elle recevait avec une vanité nonchalante qui me divertissait tout-à-fait. Cela dura tant que durèrent les bougies, à peu près huit jours. J’oubliais une méchante serinette qui jouait Partant pour la Syrie et autres airs de l’époque. Il y avait bien aussi un rouleau qui chantait la Cachucha, Tragala, Soldados de la patria, le Fandango ; mais ce luxe de surcroît était peu estimé et regardé comme trop commun. La padrona, qui était Espagnole, parlait beaucoup de la bonne vie que l’on mène en Espagne, de la bonne chère et des bons cuisiniers… Pauvre femme !… elle parlait aussi de plusieurs merveilles de France et d’Angleterre qui m’étaient toutes inconnues. Son auditoire écoutait bouche béante et accompagnait chaque fin d’histoire d’un Jésus ! d’admiration.

Dans cette ville de trente mille ames, Il y a peu de société : les élémens existent mais, pour rencontrer dix femmes, il faut aller dans dix maisons. Le grand éloignement de la côte rend difficile non-seulement