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duchesse de Bouillon, sa soeur. Selon quelques critiques, elle fut la rivale d’Adrienne Lecouvreur. M. Scribe, d’après les Mémoires du temps[1], a attribué cette anecdote très hasardée à la princesse de Bouillon-Sobieska, belle-fille de Mlle de Lorraine. Leur cousin, le prince de Lixtieim, périt dans un duel avec le duc de Richelieu, qui ne lui paraissait pas d’assez bonne maison pour être devenu son parent. Il s’en expliqua très haut, et le duc ne trouva pas d’autre moyen de le désabuser que de le tuer sur les glacis de Philipsbourg. La veuve de M. de Lixheim a été célèbre sous un autre nom ; c’est cette gracieuse maréchale de Mirepoix qui inspira à Montesquieu les seuls vers passables que ce grand écrivain ait faits de sa vie. En général, à cette époque, la branche de la maison de Lorraine établie en France ne fut guère soutenue que par les femmes. Mme de Marsan, gouvernante des enfans de France, qui a donné son nom à l’un des pavillons du château des Tuileries, jouissait d’une grande considération ; c’était presque une femme politique. Son salon était le centre du parti opposé au duc de Choiseul. L’alliance autrichienne y fut sévèrement blâmée ; on y jugeait sans indulgence Marie-Antoinette. Les sarcasmes dirigés du pavillon Marsan sur la jeune dauphine donnèrent le signal et l’exemple des traits lancés plus tard contre la reine. Une autre princesse de Lorraine, Julie-Bretagne de Rohan-Guéménee, comtesse de Brionne, fut très célèbre par sa beauté, et nous avons tous vu sa belle-fille, la princesse de Vaudemont (Mlle de Montmorency), conserver dans notre société déclassée et troublée l’image et la tradition d’un temps où la vie du monde avait été portée à sa perfection. La politesse, la dignité, l’air parfaitement grande dame ne nuisaient pas dans Mlle de Vaudemont à la simplicité du caractère et au naturel de l’esprit. Aussi Rivarol l’avait-il comparée à « la nature elle-même quelquefois âpre, souvent belle et toujours bienfaisante. »

Au nom de Mme de Brionne se rattache le souvenir de la dernière victoire de la maison de Guise. L’archiduchesse Marie-Antoinette venait d’épouser M. le dauphin. Selon l’usage, un bal paré faisait partie du programme des fêtes de la cour. Le bruit se répandit tout à coup que Mlle de Lorraine, la fille de la comtesse de Brionne, et son fils le prince de Lambesc danseraient immédiatement après les princes et les princesses du sang. Cette faveur, disait-on, avait été sollicitée par l’impératrice Marie-Thérèse elle-même, ce qui n’est guère vraisemblable. Quoi qu’il en soit, toute la noblesse, haute, médiocre ou inférieure, ancienne ou nouvelle, la pairie en tête, frémit et se leva comme un seul homme. Il fut résolu qu’un mémoire serait sur-le-champ

  1. Entr’autres le Journal de l’avocat Barbier, publié par la Société de l’histoire de France.