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par la vénération, pour ne pas dire le culte d’un lieu où s’étaient tenus les plus secrets et les plus intimes conseils de la ligue, dont la vue continuelle entretenait leurs regrets et en ranimait l’esprit. » Puis viennent les deux filles de cette princesse, Mlle de Lillebone et Mme d’Epinay. « elles étaient toutes deux fort grandes et fort bien faites ; mais à qui avait du nez, l’odeur de la ligue leur sortait par les pores. » C’est ensuite la comtesse d’Armagnac (Catherine de Villeroy), la femme de M. le Grand, « si imposante sans rouge, sans rubans, sans dentelles, sans or, ni argent, ni aucune sorte d’ajustement, vêtue en noir ou de gris en tout temps, en habit troussé comme une espèce de sage-femme, une cornette ronde, ses cheveux couchés sans poudre ni frisure, un collet de taffetas noir et une petite coiffe courte, et plate, chez elle comme chez le roi ; qui, de sa vie, n’a donné la main ni un fauteuil chez elle à pas une femme de qualité. Tout occupée de son domestique, également avare et magnifique, elle menait son mari comme elle voulait, et traitait ses enfans comme des nègres, excepté ses filles, dont la beauté l’avait apprivoisée… » Pourquoi faut-il que de ces peintures énergiques, ou gracieuses, Saint-Simon, passe quelquefois à tout ce que le mépris et la haine peuvent inspirer de plus noir ? Le portrait de la princesse d’Harcourt (Françoise de Brancas) semble écrit sous la dictée des Furies. Il n’a guère été plus indulgent pour la plus intéressante de ces filles des Guise, pour l’infortunée Suzanne de Lorraine, duchesse de Mantoue, morte à la fleur de l’âge, et dont la courte vie offre comme un résumé de tout ce qu’une existence brillante et heureuse en apparence peut renfermer d’amertume cachée et de sécrètes douleurs.

Louis XIV alors était arrivé à ce déclin de sa fortune si sévèrement jugé par la génération suivante, si imposant encore aux yeux des contemporains. Malgré tous ses malheurs, il n’avait pas cessé d’être pour eux non-seulement le roi de France, mais le roi. Son nom restait toujours le plus grand dans l’Europe conjurée contre lui ; ce soleil n’était pas assez éclipsé pour qu’on n’essayât pas encore de se réchauffer à son crépuscule. Une des preuves les plus manifestes du prestige conservé par Louis XIV dans ses dernières années, c’est l’empressement avec lequel plusieurs petits souverains, et notamment quelques princes d’Italie, se mettaient sous sa protection. Ils recherchaient son alliance, non dans sa famille (leurs prétentions ne s’élevaient pas si haut), mais dans sa cour, autour de son trône, dans les rangs intermédiaires entre Le sang royal et la haute noblesse française, quelquefois dans cette noblesse elle-même. Ils demandaient une femme au roi, à la seule condition qu’elle fût de son choix. Parmi ces quêteurs de mariage se trouvait à la cour de Versailles, un duc de Mantoue, de la maison de Gonzague. Il adressa sa requête à Louis XIV, qui l’agréa, et voulut lui faire épouser une jeune veuve de grande naissance, la duchesse de Lesdiguières, fille du maréchal de Duras. Celle-ci refusa net M. de