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cette oligarchie et de la désarmer dans ses chefs ? Il l’a fait avec une extrême rigueur, j’en conviens, mais avec un incomparable courage, sans souci des représailles, avec un sentiment enthousiaste de la responsabilité. Sa main a arrêté la guerre civile renaissante, qui ne s’est remise en route qu’après sa mort. Pouvait-il suivre un autre système ? S’il n’avait pas frappé la féodalité, ou plutôt s’il m’avait pas achevé de déchirer le lambeau informe qui lui servait encore de drapeau ; si, tout en ayant sévi contre la portion rebelle de l’aristocratie, il n’avait pas attiré au pied du trône tout ce qui restait fidèle ou consentait à le devenir, Richelieu n’aurait eu qu’un parti à prendre… Ce parti, j’hésite à le signaler ; mais enfin, quelque ridicule qu’il y ait à admettre une telle supposition, il faut bien s’y résoudre, pour donner un sens aux reproches qu’on adresse à cette immortelle mémoire. À la vue des troubles de l’Angleterre, le cardinal de Richelieu aurait dû faire donner une charte par Louis XIII et constituer sa noblesse en chambre haute accompagnée d’une chambre des communes. J’ai annoncé d’avance l’absurdité d’une telle hypothèse ; cependant il n’y en a pas d’autre à lui substituer. Si on veut prendre un instant au sérieux une idée insensée et la reproduire sous une forme moins dérisoire, on peut se demander ceci : En limitant la royauté par l’aristocratie, en démantelant l’autorité royale au profit de la noblesse dans l’intervalle écoulé entre la ligue et la fronde, Richelieu n’aurait-il pas été le plus téméraire, le plus aveugle et le plus intempestif des politiques ? On a beau, être un grand homme, on n’a pas le droit de sacrifier l’intérêt immédiat de la génération qu’on gouverne à l’intérêt futur des générations qui ne sont pas nées. Ce procédé est même si loin de la pensée d’un véritable homme d’état, que c’est précisément le propre des songe-creux et des utopistes. Mille exemples le prouvent, exemples trop récens pour qu’il soit nécessaire de les rappeler.

La tâche précise de Richelieu, à l’époque où il a paru, a été de rétablir l’autorité monarchique ; rien de plus, rien de moins. Pour y parvenir, il a dû non-seulement réprimer ce qui restait de l’anarchie féodale, mais donner au pays, par des institutions administratives dont l’énumération n’appartient pas à mon sujet, le bienfait de l’unité ; il a dû le doter de cette centralisation, -qu’on me pardonne un mot trop moderne, — combattue si violemment aujourd’hui, susceptible sans doute d’être renfermée dans des bornes plus étroites, mais dont l’anéantissement serait la ruine totale, le coup de grace de la France. Qu’on ne s’y trompe pas : dans l’affreux guet-apens dont nous avons failli périr victimes, c’est l’administration, c’est l’organisation intérieure, c’est la centralisation, c’est l’unité enfin qui nous ont sauvés… provisoirement.

Richelieu a donc été un organisateur monarchique et non un destructeur révolutionnaire. Il est vrai qu’on veut bien ajouter, en amnistiant