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des attentats : la conscience du genre humain n’est pas une affaire de chronologie. Il y a des crimes innés comme il y a des idées innées, des crimes qui restent crimes, à quelque siècle qu’ils appartiennent. Ce qui importe, ce n’est pas de les expliquer, mais de les flétrir. Il est bon, il est honorable de ne pas savoir les comprendre. Il y a un extrême péril dans ces interprétations trop ingénieuses. En pareille matière, l’impartialité peut se confondre avec l’indifférence. Se piquer d’une trop grande intelligence des temps funestes, c’est diminuer l’horreur qui seule peut en rendre le retour à jamais impossible. L’instinct des masses l’a bien senti lorsqu’il a nommé, la plus récente et la plus affreuse de ces époques du seul nom qui lui convienne : la Terreur. Un tel nom est à la fois un jugement et une sauvegarde. Le nom sert de garantie contre la chose, et peut-être n’en avons-nous été préservés que par cette enseigne sanglante, mais instructive. On peut se croire en sûreté tant qu’un pareil souvenir est encore trop rapproché pour qu’on ose en faire le thème d’une dissertation prétendue impartiale ou d’un subtil jeu d’esprit ; le danger recommence lorsqu’on s’en croit assez éloigné pour pouvoir le commenter et le comprendre. Défions-nous de cet excès d’intelligence historique ; gardons-nous, d’ensevelir le dégoût dans le raisonnement. Malheur au talent qui sait dorer la hache de Robespierre ou l’arquebuse de Charles IX !

Après la mort du cardinal de Lorraine, son neveu, Henri, duc de Guise, devint le chef de sa maison et de son parti. Je n’essaierai pas de reproduire en détail ce qui regarde ce personnage, qui fût non pas le plus grand, mais le plus célèbre des Guise. Son caractère est assez connu ; il est d’ailleurs expliqué par ses actions. Presque tous les historiens l’ont bien saisi, et, sous ce rapport essentiel, le livre de M de Bouillé ne laisse rien à désirer. Je ne raconterai donc après lui ni la rivalité du Balafré avec Henri III, ni la formation de la ligue, ni la tragique aventure de Blois, ni la longue guerre de Mayenne contre Henri IV : événemens trop présens à tous les esprits ; au lieu d’une répétition fastidieuse et inutile, je me bornerai à jeter sur les phases de cette lutte un coup d’œil général, une vue d’ensemble ; je la suivrai depuis son origine jusqu’à ses derniers résultats.

Lorsque les Guise parurent sur la scène politique, la féodalité, depuis trois siècles, était battue en brèche par la royauté. Ce mouvement devint alors si général, si irrésistible ; que, loin d’y mettre obstacle, la réforme religieuse s’associa à la monarchie absolue. Elles se prêtèrent un mutuel secours, s’appuyèrent l’une sur l’autre, et firent leurs affaires ensemble de compte à demi : le domaine royal s’enrichit des biens que la nouvelle doctrine arrachait à la puissance ecclésiastique. L’idée monarchique marchait alors en avant de toutes les autres ; que le représentant de la royauté fût orthodoxe ou hérétique, qu’il s’appelât Henri VII