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depuis deux ans, devenus populaires parmi les Parisiens. Vingt fois, cet affreux expédient a pu traverser l’esprit de Catherine de Médicis et de ses conseillers les plus intimes, seulement à de longs intervalles, dans des secousses imprévues, sous le coup immédiat de la peur, lorsque les succès ou l’audace de l’hérésie réveillaient en sursaut toute cette cour épouvantée. Mais que le massacre ait été longuement combiné, systématiquement arrêté dans tous ses détails, que Charles IX et sa mère aient conçu long-temps d’avance le projet d’attirer Coligny et ses coreligionnaires pour les envelopper dans une proscription générale, voilà ce qui est difficile à croire voila ce qui est improbable, même impossible. Ce qui est plus impossible encore, c’est que la cour des Valois ait cédé, comme le disent quelques écrivains de nos jours à la menace d’une émeute, que la Saint-Barthélemy n’ait été que l’explosion soudaine de la colère du peuple. Rien de plus faux qu’une telle assertion et d’ailleurs, cette apologie fût-elle bien fondée, qu’importe ? L’acte qu’elle amnistie en serait-il moins exécrable ? Est-ce à nous, victimes de troubles intérieurs continuels, de révolutions périodiques et incessantes, est-ce à nous de glorifier les colères de la multitude, d’y voir une atténuation et une excuse ? N’y faudrait-il pas chercher plutôt une circonstance aggravante ? L’honneur d’une génération, d’un gouvernement surtout, n’est-il pas précisément de savoir résister à de telles contraintes, de ne jamais se laisser forcer la main ? Le nombre des coupables suffit-il pour leur conférer l’innocence ? Grace au ciel, cet odieux forfait n’a pas été le crime de tout un peuple. Loin d’avoir été imposé par la France, il n’a pas même été commandé par des Français. À côté des Médicis et des Condi, des Birague et des Gonzague de toute cette triste importation étrangère, près de ce malheureux Charles IX, qui lui-même ressemble au fils de quelque condottiere, à un Sforza, à un Visconti, plutôt qu’à un descendant de saint Louis, on trouve à regret un nom français, mais un seul.

La Saint-Barthélemy un acte national ! Quel sacrilège qu’une telle assertion ! La Saint-Barthélemy a été l’horreur de tout ce qu’il y avait d’honnête parmi les contemporains. Dans cet âge d’obéissance, elle a été repoussée même par les dépositaires du pouvoir : plus de dix gouverneurs de province ont refusé d’en devenir complices ; le chancelier de L’Hôpital en est mort de douleur, fin digne d’un tel homme. Il y a plus : des personnages d’une morale plus que douteuse, des courtisans serviles l’ont désavouée, l’ont flétrie. Brantôme, l’adorateur de tous les vices de son temps, Brantôme, alors absent de Paris, en bénit Dieu avec effusion. Reconnaissant d’un bonheur si inespéré, il trouve pour la première fois l’accent du cœur au lieu des saillies de l’esprit. L’anachronisme n’est donc pas dans l’opinion, qui condamne la Saint-Barthélemy, elle est dans l’opinion qui l’interprète. Il ne faut pas croire d’ailleurs que la différence des siècles modifie aussi profondément la nature