Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/819

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme tous les princes qui gouvernent dans des temps de révolution et de guerre civile, Catherine était suffisamment édifiée sur les sentimens dont elle était l’objet. C’est encore Brantôme qui nous apprend que la reine-mère méprisait fort les libellistes et les appelait bavards, donneurs de billevesées. Toutefois des coups répétés, avec quelque sang-froid qu’on les reçoive, creusent à la longue une plaie profonde et incurable, surtout quand l’ame sur laquelle ils frappent obstinément n’est pas d’une trempe d’acier, pectus adamantinum. Catherine de Médicis ne se piquait pas d’héroïsme ; elle n’avait pas une intrépidité naturelle, bien qu’elle ait montré dans quelques circonstances décisives, par exemple aux barricades, une longanimité, un calme qui ressemblaient fort au courage. Elle savait surtout souffrir et attendre. Si elle commit des crimes, et il serait difficile de le nier, même sans vouloir admettre qu’elle eût empoisonné Jeanne d’Albret dans une paire de gants, tous ses crimes furent ceux de la peur.

D’autant plus possédée de la passion des affaires qu’elle en avait toujours été sevrée, Catherine de Médicis y apportait de nobles qualités et des défauts graves : une patience à toute épreuve, une infatigable persévérance, beaucoup d’application, beaucoup d’esprit, une finesse excessive dont la fausseté était le fonds naturel, et qui dégénérait presque toujours en incertitude. Elle avait la conscience intime de son savoir-faire mais nul empressement de le faire briller sans nécessité. Quand la reine-mère voulait faire prévaloir un avis, elle aimait mieux avoir l’air de le recevoir que de le donner[1]. Ce qui est frappant dans Catherine de Médicis, c’est que jamais elle ne se laissa aller à aucun des défauts d’une parvenue. Elle ne fit preuve de vanité qu’une fois, vers la fin de sa vie. Lassé d’être traitée de bourgeoise, de banquière, de marchande, par ces Français, qu’intérieurement elle dédaignait comme des barbares, comme des ultramontains, elle étala avec orgueil des prétentions à une origine royale du chef de sa mère. Contre toute espèce de droit, même sans apparence de raison, elle réclama la couronne de Portugal, devenue vacante par la mort du cardinal-roi, dernier rejeton de la maison d’Avis. Assurément, elle n’avait pas l’espoir de réussir ; mieux que personne, elle connaissait l’insuffisance de ses titres, qui d’ailleurs remontaient trop loin pour n’être pas primés par d’autres prétentions plus claires et plus récentes ; mais l’antiquité de ses prétendus droits fut principalement ce qui l’engagea à les produire, non pour le profit, mais pour l’honneur : elle voulait prouver à la maison de France que la Florentine, comme l’Écossaise, pouvait lui apporter une couronne en dot. On ne trouverait pas dans

  1. « Consiglio… fingendo la regina piutosto di recevere che di dare…” Davila, Guerre civili di Francia, lib. II.