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jouissait d’une faveur éclatante auprès de Henri II, moins par lui-même que par ses deux fils, François et Charles, les aînés de ses sept enfans. Ils étaient tous deux de l’âge de Henri II. Leur laissant le soin de continuer son œuvre au milieu d’une génération nouvelle, le vieux duc de Guise se retira dans son château de Joinville, y vit venir le terme de ses jours avec intrépidité et ne donna plus d’autre marque de la faiblesse inhérente à l’espèce humaine qu’en attribuant sa mort au poison, genre de vanité dont un grand personnage de ce temps-là ne savait guère se défendre. Une mort violente, un empoisonnement à défaut d’un assassinat par la dague ou par l’épée, était alors un privilège de noblesse, une preuve d’importance sociale et politique. Il fallait qu’un homme fût bien inconnu, bien insignifiant, bien subalterne, pour qu’on le laissât mourir dans son lit. Cette idée singulière est d’origine orientale ; elle a long-temps prévalu dans le Levant. Il n’y a guère plus d’un demi-siècle qu’un ambassadeur de France à Constantinople, ayant demandé à la veuve d’un hospodar si son mari était mort de maladie, elle répondit avec indignation : « Pour qui donc le prenez-vous ? » Le hospodar avait été étranglé.

Personne assurément n’avait le moindre intérêt à faire périr Claude de Lorraine, retiré du monde depuis long-temps : il aurait été plus naturel de s’en prendre à ses fils, alors dans tout l’éclat de la faveur, mais un si haut et si puissant seigneur que le duce de Guise devait pouvoir dire en mourant à sa famille éplorée et à ses vassaux, témoins de ses derniers momens Je ne sais si celui qui m’a donné le morceau est grand ou petit ; n’importe ! je lui pardonne. » Ses serviteurs lui devaient surtout d’inscrire sur son cercueil ces paroles honorables et consolantes : « Trépassé le 12 avril, l’an 1550, à Joinville, par poison. »

C’est avec raison que M. de Bouillé s’est étendu sur le premier duc de Guise. Les historiens l’ont trop sacrifié à ses descendans. Il fut le créateur et le précurseur de leur fortune. Toute proportion gardée, il a été le Philippe de ces Alexandre. Il faut avouer cependant que la grandeur de cette famille aurait été arrêtée dans son premier élan, si l’œuvre de Claude n’avait pas trouvé pour continuateurs deux hommes, deux frères d’un caractère très opposé, de talens très divers, mais qui, agissant dans un intérêt identique, se prêtant sans cesse un mutuel secours se suppléant, se complétant au besoin, tirèrent de la réunion de leurs inégalités de l’accord de leurs dissonances, un tout, harmonieux, indivisible, soutenu et balancé avec art par un contraste savamment ménagé. Se connaissant parfaitement l’un l’autre et ne s’ignorant pas eux-mêmes, ils n’avaient voulu rien perdre de leurs qualités ni de leurs défauts. Tout avait été mis en commun au profit d’une ambition solidaire. Tandis que le duc prodiguait les adages chevaleresques, le cardinal répandait avec une égale profusion les sentences