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que de son habileté. Douce, quoique fière, charitable, compatissante, épouse et mère chrétienne, étrangère à la discorde et à la haine, présente à tous les événemens politiques par un art d’autant plus admirable qu’il était plus innocent, elle évitait d’y être directement mêlée. Dans une situation où nulle démarche n’était indifférente, où toute action aurait pu être soupçonnée de combinaison et d’arrière-pensée, l’épouse du duc de Guise se réfugia si complètement dans sa tendresse conjugale, s’abrita si bien sous sa simplicité et sa modestie, que les courtisans les plus corrompus et les moins crédules ignoraient la supériorité de son intelligence et méconnaissaient la finesse de son instinct au point de ne l’appeler jamais que Mme de Guise la bonne femme[1]. Ainsi appuyés l’un sur l’autre, pleins d’une confiance et d’une déférence réciproque, les jeunes mariés cheminaient adroitement entre les écueils.

Le premier dans les tournois, général à l’âge où les plus braves n’étaient encore que chevaliers, Claude de Lorraine se montrait partout où il y avait un coup d’épée à donner ou une place à enlever. À la tête d’un petit nombre d’hommes hardis, il entrait dans le camp des Anglais et laissait cinq ou six cents morts sur la place, assistant à tous les sièges, à tous les combats. Avec ce bonheur qui ne lui fit jamais défaut, exilé pendant la campagne d’Italie par suite d’une intrigue de cour, il n’assista pas à la déroute de Pavie ; mais tandis que Bonnivet s’y faisait battre et que François Ier s’y laissait prendre, Guise, qui n’était pas homme à rester oisif dans son manoir de Joinville, s’en échappait et courait à la frontière. Un chef allemand, le landgrave de Furstemberg, à la tête de dix mille reîtres, marchait sur Neufchâteau. Au moment où il s’y attendait le moins, le landgrave vît venir à lui Claude de Lorraine en personne. Le duc lui livra bataille et tailla son armée en pièces. « Mesdames de Lorraine et de Guise, assises aux fenêtres avec leurs dames et demoiselles ; en virent le jeu à leur aise et sans danger. » On eût dit qu’elles assistaient à un carrousel.

Des fanatiques allemands, soutenus en secret par Charles-Quint, avaient profité de la captivité de François Ier pour pénétrer en France. Ils avaient établi à Saverne, en Alsace, leur quartier-général, d’où ils menaçaient notre frontière. Ce n’étaient pas seulement les propagateurs d’une religion nouvelle ; c’étaient aussi des sectateurs de cette doctrine de la spoliation et du pillage : qui a trouvé des adeptes et des professeurs dans tous les temps. Pour parler le langage énergique de Brantôme, « c’étoient quelques quinze ou vingt mille marauts de communes, qui disoient que tous biens estoient communs, et ravageoient tout partout où ils passoient… Monsieur de Guise, brave et vaillant prince,

  1. Brantôme, Claude de Guise.