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peu adapté aux mœurs et aux habitudes des classes inférieures, peut-être se serait-il éteint faute de chefs, si les Guise n’avaient pris soin de lui en donner par un antagonisme imprudent avec les princes du sang et avec l’élite de la noblesse française. Ainsi que j’essaierai de le prouver par le simple exposé des faits, ils ont créé le péril qu’ils n’ont pu vaincre ; ils ont laissé la réforme plus puissante et mieux établie qu’ils ne l’avaient trouvée. Toutefois, en leur contestant la gloire d’avoir sauvé le catholicisme en France, on ne peut leur refuser l’honneur de s’en être déclarés les champions et les chevaliers.

Que l’habile panégyriste des Guise me permette de prendre ici leur parti contre lui-même : il attribue d’une manière trop absolue tous leurs actes à l’ambition ; il en fait le mobile trop exclusif de leur conduite. À cet égard, je suis loin de partager son avis. Les Guise étaient ambitieux, qui peut le nier ? mais ils étaient croyans, mais ils étaient pénétrés d’une conviction profonde ; ils avaient la foi. Certes ce n’était pas la religion indulgente et douce qui sait plaindre et consoler : la religion de saint François de Sales et de saint Vincent de Paule. Leur siècle était trop féroce pour la connaître. Ils avaient la foi agressive et militante ; la foi qui attaque, combat et punit. Pour être dure, cette foi n’en était pas moins vraie : c’était du fanatisme si l’on veut, mais un fanatisme sincère ; ces hommes, quelquefois coupables, n’étaient pas des hypocrites. Il faut bien se garder de confondre les entraînemens de la passion avec les calculs de l’hypocrisie. Jamais la ferveur religieuse n’aurait eu cette force d’expansion, si elle était sortie tout armée du cerveau, au lieu d’avoir germé dans le cœur : huguenots, catholiques, tous croyaient alors, et croyaient fermement. S’il y avait des hypocrites quelque part, ce n’ était point parmi les plus grands et les plus forts, surtout ce n’était point parmi les hommes de guerre ; le scepticisme hantait peu les camps et se cachait rarement sous l’armure. La foi était alors une vertu éminemment militaire. Alexandre VI et Jules II avaient régné pendant cette même période où Bayard, sur le champ de bataille, expirait en baisant la croix de son épée. Tandis que Charles de Lorraine, un prince de l’église, faisait des concessions à l’hérésiarque Théodore de Bèze, François de Lorraine, un soldat déclarait qu’il n’entendait pas grand’chose à toutes ces disputes, mais qu’il ne cédait rien de ce qu’il avait appris sur les genoux de sa mère.

Certes, il y aurait de l’exagération à prétendre que la foi était l’unique boussole de tels hommes et qu’aucun alliage ne se mêlait à leurs convictions religieuses. Il y a plus : par une capitulation de conscience ignorée de ceux qui s’y livraient, tant elle leur étant naturelle, il arrivait alors que dans le détail de la vie on tirait de ses croyances un parti égoïste et très profane ; mais le ressort, à la fois solide et flexible, existait indépendamment de ses applications ; il se prêtait souvent, il