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France où l’histoire de Bergzabern et de Steinfeld se reproduirait de point en point au seul bruit d’une explosion parisienne. Édifions-nous un peu d’avance ne fût-ce que pour nous dégoûter de risquer les explosions. Bergzabern est une ville de trois mille ames, ou siègent toutes les autorités qu’on peut rencontrer dans telle ou telle de nos sous-préfectures ; l’agitation de 1848 passa là comme partout, et s’empara de l’humble cité. Un marchand dont les affaire étaient fort mauvaises (c’est la condition presque universelle de tout bourgeois mécontent qui entre dans les affaires publiques) se fit nommer ou se nomma commandant de la garde nationale, et le commandant improvisé régna tout aussitôt en maître. « Le commandant l’a dit ! » ce mot suffisait pour tout justifier dans la petite république, qui, sous prétexte de s’émanciper avec le peuple entier du Palatinat et de défendre la libre constitution allemande, était tombée sous le plus rude arbitraire qu’elle eût jamais subi. On arrêtait qui le commandant désignait, on transportait les gens à Kaiserslautern, aux pieds du gouvernement provisoire ; on les jetait au cachot, on les menaçait de les fusiller, le tout au nom du salut public. Or, à deux lieues seulement d’un si brûlant foyer de patriotisme, le village de Steinfeld s’obstinait ; depuis le commencement des troubles, à ne point se mêler de politique on ne voulait là ni fonder des clubs ni jouer aux soldats. Le commandant de Bergzabern ne pouvait souffrir long-temps cet excès d’indifférentisme. Le 4 juin 1849, il se mit en campagne avec une armée d’exécution de sept cents hommes, pour aller démocratiser les paysans de Steinfeld ; mais ceux-ci l’attendaient de pied ferme à l’entrée de leur village avec des fusils et des fourches, et le laissèrent déployer tout son appareil militaire sans rompre d’une semelle. Les fusils de ses hommes étaient chargés, apprêtés ; le commandant n’avait plus qu’à crier : Feu ! il fit tout bonnement volte-face, quand il vit que les paysans ne bougeaient pas.

Quelques jours après, les Prussiens pénétraient : dans le Palatinat, et le 17 juin les autorités de Bergzabern couraient chercher un asile sur le territoire français, emportant avec elles la caisse municipale qu’elles avaient remplie au moyen d’emprunts forcés ; le commandant et son cortége touchaient à la frontière, lorsqu’ils furent appréhendés par des douaniers et conduits à ce même Steinfeld en attendant qu’on pût les mener à Landau. Grande rumeur à Bergzabern ; il faut délivrer les prisonniers et prendre sa revanche sur les gens de Steinfeld. On bat la générale sans que personne l’ait ordonné ; la garde nationale force ses officiers à marcher ; on envoie des émissaires aux corps francs « de l’arrivée du peuple dans le Palatinat, » qui étaient campés à deux lieues de là ; on accueille avec des cris sauvages les deux ou trois cents bandits qui arrivent à la hâte ; on ne se fait pas faute d’envahir, par façon d’intermède, les maisons des suspects, car il y a toujours des suspects dans de tels momens ; bref, on recommence sur nouveaux frais l’expédition de Steinfeld. Cette fois on réussit à brûler quelques maisons, à blesser assez grièvement quelques paysans ; les femmes, les enfans s’étaient réfugiés dans les bois ; par crainte de l’incendie ; les villageois abandonnés à eux-mêmes, sans communication ni avec Landau, ni avec Weissenbourg, rendirent leurs prisonniers ; ce fut la suprême tentative de l’insurrection, et les auteurs de cette bagarre trop prolongée ont maintenant à régler leurs comptes avec la justice. D’instant en instant, les