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auraient donné d’autant plus de consistance au parti victorieux, qu’il se fût à la fois prévalu de sa victoire pour s’attribuer le gouvernement, et prévalu de son gouvernement pour acquérir le droit de venir ensuite, au nom du pays, se décerner un satisfecit. Ce qui n’a pu s’accomplir en France s’est insensiblement établi dans le pays de Vaud depuis la révolution de 1845 ; le système se soutient par l’approbation des fonctionnaires qu’il emploie, et qui forment les quatre cinquièmes de l’assemblée législative. Placés par la pétition des 10,000 dans la nécessité, ou d’abdiquer leur mandat pour garder leurs places, ou de subir la chance de n’être point réélus, s’ils s’obstinaient à garder leur place en même temps que leur mandat, les membres du grand conseil se sont déchargés de cette solution embarrassante par un appel au peuple. Le peuple en assemblées communales doit, d’après la constitution, répondre au scrutin secret par oui et par non. C’est la première fois que le peuple de Vaud est mis en demeure de se prononcer ainsi directement sur un point de législation ; jusqu’à présent, il n’avait manifesté de la sorte son droit absolu de souveraineté que dans les élections, ou bien quand il s’était agi d’accepter les constitutions cantonales de 1831 et de 1845 et la constitution fédérale de 1848. Il y aura donc moyen de savoir très sûrement, par cette épreuve, de quel côté penche maintenant le pays.

On doit pourtant prendre garde de ne pas trop s’abuser sur la valeur de ces succès du parti conservateur à Lausanne. Le gouvernement cantonal n’est pas encore tombé ; il s’en faut ; il conserve toute son autorité sur l’armée, toute son action au dehors : on s’en aperçoit à Berne. Les conservateurs enfin n’ont eu le dessus dans ce dernier mouvement d’élections et de pétitions que grace au schisme qui s’est introduit au sein du parti radical. Ils se sont vu tout d’un coup pour alliés les ultra-radicaux et leur chef, M. Eytel, qui ne pardonnent point au gouvernement de n’avoir pas assez défendu les réfugiés, et l’accusent à ce sujet de lâchetés et de concessions rétrogrades. M. Eytel est le chef d’une « société patriotique » qui a fait la révolution de 1845 et gouverné le canton pendant des années ; il a pour lui la plupart des ouvriers des villes, la fraction la plus convaincue, la plus ardente de l’armée radicale, Leurs griefs contre le pouvoir actuel iront-ils jusqu’à le détruire au profit des modérés ? Tout cela d’ailleurs ne saurait s’opérer sans quelque crise violente ; il y a malheureusement dans toutes ces contrées une population qui ne connaît plus d’autre argument que la force, comme elle n’a d’autre plaisir que le tapage. Imaginez nos démagogues de l’espèce la plus infime chantant leurs chansons à boire contre les Changarnier, les Radetzky ; vous aurez plus ou moins l’idée de ces radicaux suisses criant par les rues, même à Berne, quand la police a le dos tourné : « Drin, drin, rataplan, vivent les rouges ! à bas les tyrans ! »

Il se juge maintenant à Deux-Ponts, dans la Bavière rhénane, un procès politique qui nous peint encore sous les plus sinistres couleurs cette domination toujours éphémère de la démagogie : c’est un dernier épisode de l’insurrection qui, en 1840, s’étendit de Bade au Palatinat. Sur des scènes ainsi réduites, on est plus à l’aise pour apprécier au vrai les exploits et les héros du genre révolutionnaire ; on n’a pas de peine à se dérober aux illusions qui les grandissent quand on les aperçoit sur des théâtres plus vastes, où il y a du lointain. Il n’est pas inutile de retracer ici quelque chose du tableau qui se déroule devant la justice bavaroise ; nous sommes sûrs qu’il y a plus d’un endroit en