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changer le plus qu’ils pourront de maux en biens. Lorsque l’assemblée met en une fois à son ordre du jour, comme il est arrivé cette quinzaine, trois projets émanés de la commission d’assistance, lorsqu’elle agite sérieusement les humbles et immenses intérêts du pauvre, elle fait plus contre le socialisme, elle fait plus pour la France et pour elle-même qu’en s’échauffant sans repos en l’honneur de sa prérogative.

C’est de ce point de vue si essentiel que nous sollicitons tout son intérêt pour la prochaine discussion du projet de loi sur l’industrie sucrière. Le rapport de M. Beugnot, bien que remarquable à plus d’un titre, n’apprendra rien de nouveau à nos armateurs et à nos industriels ; mais il expose les faits avec une lucidité parfaite, et il conclut en apportant, des améliorations réelles au texte primitif de la loi. Le gouvernement et la commission sont entrés franchement dans une voie nouvelle, nous sommes heureux de le reconnaître. Le prix des sucres et des cafés devra maintenant diminuer par l’abaissement successif des droits qui les frappaient ; cette réduction ne saurait manquer d’en augmenter l’usage, et nous cesserons sans doute d’être en Europe le peuple qui paie aujourd’hui le plus cher ces denrées de première nécessité. Des esprits sérieux ont dit parfois, depuis la révolution de février, que les sourds mécontentemens qui fermentaient dans les dernières années de la monarchie auraient peut-être été distraits avec plus d’efficacité qu’on ne pense, si l’on avait su donner aux classes ouvrières et agricoles des conditions d’existence plus faciles, une alimentation meilleure et moins chère. Malheureusement l’aversion systématique du gouvernement et des chambres pour toute espèce de réforme douanière arrêtait au passage des satisfactions si désirables ; peut-être en les accordant aux intérêts qui les réclamaient, en entrant avec décision dans la politique réformiste où sir Robert Peel conduisait l’Angleterre ; peut-être eût-on évité les désastres politiques. Les patrons du régime protectioniste l’avaient poussé à outrance au moment où éclata la révolution de février ; ils ont ainsi leur part et leur grande part de responsabilité dans l’événement : nous souhaitons qu’ils s’en souviennent et n’opposent point au juste progrès des tendances libérales en matière de tarifs ces aveugles résistances dont la vivacité passionnée accusait trop les mobiles.

Le projet de loi établit dans ses dispositions économiques que les sucres français ; indigènes et coloniaux seront dégrevés de 20 francs en quatre années, à raison de 5 francs environ par 100 kilogr. avec un droit différentiel en faveur des sucres coloniaux ; la surtaxe des sucres étrangers sera réduite à 10 francs par 100 kilogr. Le projet arrête aussi que les types de nuances seront supprimés, et que le droit sera perçu en proportion de la quantité de sucre pur qu’ils.seront reconnus contenir.

Si l’abaissement des droits sur le sucre et le café en France doit sans aucun doute en populariser l’usage, cette augmentation compensera-t-elle la perte momentanée du trésor ? Le gouvernement l’espère. Nous ne demanderions pas mieux que de partager cette opinion ; mais nous ne voudrions pas cependant nous lier trop aux comparaisons que l’on pourrait établir avec l’Angleterre et les pays du Nord, car il n’y a pas entre ces pays et nous la moindre analogie. L’hygiène des pays du Nord exige des boissons chaudes, et, parmi celles-là, le thé, la plus populaire de toutes, nécessite un grand emploi de sucre. Or,