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du naturel, et en faisant la part très large à l’influence qu’il exerce même sur les grands hommes, nous admettons qu’il y ait d’irrésistibles tentations de ne point céder à la fortune et de vouloir toujours sa revanche. L’élection du 10 décembre était une revanche du 24 février 1848, le vote. Du 10 février 1851 est une revanche du 10 décembre. Soit ; mais où va-t-on de ce train-là, et la revanche est-elle bien sérieuse, si elle aboutit à l’impossible ?

Or, il est désormais impossible que les hommes monarchiques se fassent tout de bon et de leur personne des républicains pratiquans. La vraie république ne peut exister sans un certain nombre d’aberrations qu’ils sont tout-à-fait incapables de prendre à leur compte. Il est bien clair que nous ne possédons pas aujourd’hui la vraie république des républicains, puisqu’on n’a pu l’aider à durer qu’en la corrigeant. On est aujourd’hui fâché contre soi-même, contre son prochain, contre la nation tout entière, d’avoir tant et tant corrigé, qu’il ne reste plus guère que le titre de l’édition primitive. On en appelle de ses corrections, on jure qu’on reviendra, coûte que coûte, de la république princière à la vraie république. Mais quoi ? voudra-t-on lui inculquer, pour la refaire, tous les vices qu’on avait eu tant de peine à l’empêcher de se donner quand on en accepta la tutelle ? Ainsi, par exemple, la vraie république, celle qui différerait le plus de notre régime actuel, ce serait à coup sûr la république sans président. Le président gêne : que l’on révise la constitution pour le supprimer ; les deux pouvoirs sont en lutte perpétuelle : que l’on absorbe l’exécutif dans le législatif, que l’on arme de pied en cap un diminutif de convention ! Voilà qui est bientôt dit, et l’on a revanche gagnée ; oui, mais gagnée par qui ? Par M. Grévy, et non par M. Thiers. Nous le répétons, il est doublement impossible que M. Thiers fasse la besogne de M. Grévy, et que M. Grévy laisse faire sa besogne par M. Thiers. À quoi bon camper alors sous une tente que l’on ne pourra point garder ?

On aurait peut-être encore un expédient dont on verrait à s’aviser pour contenter son républicanisme, pour maintenir la pureté de l’institution. — Si un président est dangereux, s’il est impossible de se passer de président, il ne reste qu’à diviser la présidence sur plusieurs têtes : ce serait sans doute la manière d’avoir moins de jaloux. Hélas ! l’expérience s’est faite, elle a laissé son nom dans notre histoire révolutionnaire, ç’a été le directoire. Vous avez tous, grace à Dieu, l’ame plus haute et plus honnête que Barras, vous êtes plus considérables que Barthélemy ; on ne vous trouverait pas aisément, même en cherchant un peu, des collègues aussi naïfs que Letourneur et Laréveillère-Lepeaux ; mais plus chacun de vous serait important, plus il y aurait bientôt de tiraillemens et d’impuissance dans votre commune autorité, plus vous seriez le directoire, et pas plus après vous que maintenant la France ne trouverait, pour la sauver, un second vainqueur des pyramides !

Nous avons assez dit l’autre jour qu’il n’y avait pas d’empire à rêver ni quoi que ce soit qui ressemblât à l’empire ; il n’y a pas plus à essayer d’une république d’imitation, ni république conventionnelle, ni république du directoire. Ce qui est, c’est une situation très complexe, très fausse, nous n’en disconvenons pas, mais avec laquelle il faut traiter comme avec une situation neuve, parce que, si désagréable qu’elle soit, elle n’a pourtant pas ce suprême désagrément qu’elle pouvait avoir, le tort qu’on aurais cru pouvoir lui prêter d’avance,