Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/773

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un pays qui en a produit de bien originales. On ne connaissait guère jusqu’ici la littérature des Magyars ; l’intérêt excité par les événemens de la Hongrie va nous ouvrir peu à peu ce monde rempli de mystères. La Hongrie possède des chants nationaux par milliers, et, comme chez tous les peuples dont la physionomie n’a pas subi d’altération notable, ces chants, vive expression des mœurs guerrières et de l’esprit altier du pays, deviennent plus nombreux chaque année. L’Allemagne est l’intermédiaire naturel des Magyars et des Slaves avec le reste de l’Europe ; c’est d’Allemagne en effet, c’est par les soins d’un traducteur habile que nous arrive le poème le plus populaire aujourd’hui parmi les paysans magyars, le Héros Jancsi[1].

L’auteur de ce poème est un homme encore jeune, dont la vie aventureuse, répond bien à l’idée qu’on doit se faire du chantre favori des Hongrois. Tour à tour paysan, étudiant, soldat, poète, aide-de-camp du général Bem dans la dernière guerre, M. Schaandor-Petosi semblait destine à fournir des chants à toutes les classes de son pays. Laboureurs et soldats, assure-t-on, répètent ses ballades et ses chansons de guerre ; dans le feu de la bataille, au milieu des travaux des champs, pendant les loisirs des longues veillées, ce sont les vers de M. Petosi, qui enflamment les courages ou égaient les esprits. M. Petosi a déjà publié une dizaine de volumes qui attestent la joyeuse fécondité de cette imagination sans apprêt. Les plus remarquables sont des recueils de poésies et surtout de longs récits, des fragmens d’épopée, des espèces de chansons de gestes, où la passion du merveilleux et l’esprit des aventures guerrières éclatent avec une naïveté pleine de charme. Le Héros Jancsi appartient à ce dernier groupe, et, suivant des témoignages irrécusables, il n’est pas d’œuvre plus chère à l’imagination des Hongrois.

Vous rappelez-vous ces poèmes du moyen-âge où le trouvère donnait satisfaction aux instincts aventureux de son temps par mille inventions extraordinaires, expéditions lointaines, voyages rapides d’un bout de l’Europe à l’autre, batailles, conquêtes, gestes merveilleux et hardis ? Ajoutez à cette inspiration une sorte de gaieté vaillante, ajoutez-y surtout les fraîches couleurs d’une églogue printanière, d’une naïve églogue des bords de la Theiss ou du Danube, servant de cadre à ces événemens singuliers : tel sera le Héros Jancsi. Un jeune paysan, le candide et amoureux Jancsy, garde les troupeaux de son maître sur le penchant de la montagne ; non loin de là, la blonde Iluska, à genoux aux bords du ruisseau, lave de la toile dans l’eau courante. Jancsi et Iluska se sont rencontrés en ce lieu plus d’une fois, et le plaisir que trouve Jancsi à regarder les blonds cheveux d’Iluska, Iluska le ressent aussi à écouter la voix émue de Jancsi. Que devient le travail pendant ces causeries sans fin ? La fermière est impitoyable ; la jeune fille aura bientôt à rendre compte de l’ouvrage oublié et des instans perdus. C’est bien pis pour Jancsi : le loup a mangé ses moutons, et le voilà chassé par son maître. Dès que la nuit est tombée, Jaczi retourne au village ; il va frapper doucement sous la fenêtre d’Iluska, il prend sa flûte, et joue sa mélodie la plus triste : « Iluska, il faut que je te quitte ; je vais courir le monde. Ne te marie pas, ma chère Iluska, reste-moi fidèle, je reviendra avec un trésor. » Il part, les yeux pleins de larmes et plus

  1. Der Held Jancsi, ein Bauern-Maerchen, von Petosi (Pezoefi ?) ; Stuttgart, 1850.