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mœurs de tout un peuple ne sauraient se modifier d’un jour à l’autre. Un principe nouveau a été proclamé ; il existe un nouveau droit qui blesse de vieilles antipathies et qui réveille d’antiques défiances. Assurément, ce principe et ce droit subiront, pendant les premières années, de regrettables atteintes. Il suffira qu’une conversion trop éclatante vienne réveiller le zèle d’un mandarin, sectateur fervent de Confucius, pour motiver un acte de persécution. Un fait de cette nature s’est produit récemment dans un district de la province de Canton, sur les limites du Fokien. Un missionnaire français a été arrêté, et le mandarin Wan a cru devoir, à cette occasion, fulminer contre la religion chrétienne une proclamation dans laquelle se révèle énergiquement l’intolérance têtue du lettré chinois. « Bien qu’une ordonnance récente, dit le mandarin, en rappelant la circulaire de Hy-ing, ait reconnu aux barbares le droit de disserter entre eux sur leurs livres religieux, elle ne leur a cependant pas permis de s’établir dans l’empire du milieu, de se mêler à sa population, de propager leurs doctrines parmi ses habitans. Si donc il est quelques-uns de ceux-ci qui appellent les étrangers, qui se liguent avec eux pour agiter et troubler l’esprit public, pour convertir les femmes ou violer la loi de toute autre manière, ils seront punis, comme par le passé, soit de la strangulation immédiate, soit de la strangulation après emprisonnement, soit de la déportation, soit de la bastonnade ; la loi n’admet pas de rémission… » Heureusement le représentant de la France, M. Forth-Rouen, se trouvait encore à Macao, lorsque l’on a reçu la nouvelle de l’arrestation du missionnaire et la copie de la proclamation, et il a pu adresser au vice-roi de Canton d’énergiques représentations, qui ont amené la mise en liberté immédiate du prêtre français ; mais il faut s’attendre à voir, pendant quelques années encore, se renouveler de semblables incidens. La circulaire de Ky-ing, tout en reconnaissant la liberté du culte catholique, n’a point autorisé formellement l’introduction des prêtres européens dans l’intérieur de l’empire ; il était impossible, en 1844, d’obtenir cette concession, puisque, aux termes du traité, la présence des étrangers n’était autorisée que dans les cinq ports ouverts au commerce. Notre politique doit tendre à lever ce dernier scrupule du gouvernement chinois et à protéger les missionnaires catholiques contre toute chance de persécution. Cette politique, conforme aux traditions du passé, est digne de la sollicitude du gouvernement, et lors même que, par un oubli regrettable, nous persisterions à négliger les intérêts commerciaux qui s’agitent à l’extrémité de l’Orient, nous ne saurions abandonner à d’autres un patronage qui honore l’influence et le nom de notre pays.


C. LAVOLLEE.