Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/756

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des services éclatans que les missions catholiques de la France ont rendus à la civilisation et à la foi.

Les diverses sectes de la communion protestante possèdent, également des prédicateurs qui ont entrepris la conversion des Chinois. Ces missionnaires, ou plutôt ces agens, ne quittent point les ports légalement ouverts à l’étranger : ils arrivent avec leur famille ; ils sont assurés de recevoir un salaire élevé, ils exercent la médecine ou se livrent au négoce, et le prêche n’est pour eux qu’un incident de leur existence confortable et paisible. Sans doute, en guérissant gratuitement les malades, ils inspirent aux populations chinoises une haute idée de la science européenne, ils servent l’humanité ; mais où est le mérite quelle est la gloire de ces fonctions sans péril ? Comparez le pasteur méthodiste expédié de Londres par une société d’actionnaires et apportant une cargaison de bibles, comparez-le avec ce jeune prêtre qui, à peine débarqué sur la terre de Chine, part, plein d’ardeur et de foi, pour les provinces les plus reculées, où l’attendent après les dangers d’un long voyage, les périls plus grands encore et les privations de toute sorte et de tout instant attachés à l’apostolat ! Sortant la nuit, se cachant le jour, exposé sans cesse aux soupçons d’une population ignorante ou d’un mandarin fanatique, le missionnaire français n’a d’autre récompense que la satisfaction du devoir accompli, d’autre espoir que le martyre. Voilà, s’il est permis de s’exprimer ainsi les produits que nous introduisons en Chine ; ils méritent, à coup sûr, de notre part une protection au moins égale à celle que l’orgueilleuse Angleterre accorde à une caisse d’opium ou à une balle de coton.

Aussi, lorsque, l’ambassadeur de la France, M. de Lagrené, se trouva en présence du vice-roi de Canton, le sort de nos missionnaires et l’avenir de la propagande catholique furent-ils l’objet de ses plus vives préoccupations. Il comprit que la nation si long-temps appelée la fille aînée de l’église avait un pieux devoir à remplir, et que l’occasion s’offrait pour elle de reprendre solennellement l’honorable protectorat de la foi chrétienne. Les mandarins chargés de suivre les négociations ne manifestaient aucun sentiment d’aversion contre la religion du Seigneur du ciel (c’est ainsi que les Chinois désignent la religion catholique), mais il craignaient, en autorisant l’exercice d’un culte jusqu’alors sévèrement proscrit, de heurter le préjugé populaire, de mécontenter la classe influente des lettrés, et surtout de perdre la faveur de la cour de Pékin, qui voyait déjà de fort mauvais œil et ne subissait qu’à regret les concessions faites à l’esprit européen. On ne pouvait donc espérer que la reconnaissance formelle de la religion catholique serait inscrite au nombre des articles du traité, et d’ailleurs n’eût-ce pas été en quelque sorte une profanation de stipuler, dans un seul et même acte, pour les intérêts du commerce et pour ceux de la foi, d’abaisser une cause si sainte au niveau d’un affranchissement de droit de tonnage ou d’une réduction de tarif ? On éluda la difficulté par l’adoption d’une formule qui devait ménager les susceptibilités de l’orgueil chinois et donner satisfaction à nos légitimes exigences. Le vice-roi Ky-ing adressa, en juillet 1845, à l’empereur Tao-kwang une pétition dans laquelle il proposait de ne plus considérer comme criminelles aux yeux de la loi les principales pratiques de la religion chrétienne. En signant de son pinceau rouge cette pétition, l’empereur lui imprimait le caractère d’un décret. C’était déjà un grand pas,