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placé en face d’un homme ; le mari, pour le vaincre, n’a qu’à le pousser du doigt.

Ces prémisses une fois posées, et je crois qu’il serait difficile d’en contester la vérité, voyons ce que valent les personnages mis en scène par M. Augier. — Gabrielle s’ennuie et se lamente comme toutes les femmes oisives qui ne savent pas trouver dans l’emploi de leur intelligence, dans le gouvernement de leur maison, dans l’affection de leur famille un intérêt assez puissant pour éloigner d’elles toutes les tentations ; mais, dans ses plaintes, le bonheur d’être aimée joue un rôle par trop modeste. Il y a dans la douleur qu’elle ressent plus de vanité humiliée que de tendresse refoulée : c’est plutôt un enfant qui demande qu’on l’amuse qu’une femme qui appelle l’amour. Une femme ainsi faite ne mérite guère d’inspirer une affection profonde. La passion, n’ayant pour auxiliaire que l’oisiveté, n’excitera jamais dans son cœur de bien terribles orages.

Julien représente assez fidèlement le type du mari confiant ; il fait pour Gabrielle tout ce qu’il peut faire, ou du moins tout ce qu’il croit utile à son bonheur, et le sentiment du devoir accompli éloigne de sa pensée toute crainte. Gabrielle n’a-t-elle pas tout le bien-être qu’elle peut souhaiter ? n’est-elle pas vêtue selon son goût ? ne change-t-elle pas de parure aussi souvent qu’il lui plait ? l’avenir de sa fille n’est-il pas assuré ? que lui manque-t-il ? Julien n’a-t-il pas pris pour lui tous les soucis du ménage ? la tâche de Gabrielle ne se réduit-elle pas à jouir paisiblement du bien-être qu’il lui donne ? Julien croit fermement que la sécurité, la certitude de retrouver le lendemain ce qu’elle a quitté la veille, suffisent à remplir le cœur d’une femme. Il ne comprend pas la nécessité d’occuper tour à tour chez Gabrielle toutes les facultés qu’elle possède, de parler tantôt à son imagination, tantôt à sa raison, d’accepter tous ses instincts pour la dérober à tous les dangers. Sûr de n’avoir rien à se reprocher, ne doutant pas de lui-même, n’apercevant dans sa conscience qu’un dévouement à toute épreuve, comment douterait-il de Gabrielle ? comment songerait-il à distraire, comme un esprit frivole, la mère de son enfant ?

Stéphane ne peut être accepté comme un amant sérieux. Avec la meilleure volonté du monde, il est bien difficile d’ajouter foi aux sermens qu’il prononce. Les baisers qu’il prodigue à une rose cueillie par Gabrielle et tombée des mains de son amie, ses plaintes sur la ruine de la chevalerie, qui ramassait un gant parfumé au milieu d’une arène sanglante, sur nos mœurs prosaïques, sur notre vie sans émotions et sans dangers, ne suffisent pas pour faire de lui un personnage poétique. Après les promesses qu’il a recueillies de la bouche de Gabrielle, comment comprendre qu’il renonce à elle dès qu’elle lui parle de mariage ? Gabrielle s’épouvante en mesurant le chemin