du palais impérial. C’est pitié d’ailleurs que cette prohibition. Au point où la rivière Woosung vient mêler ses eaux à celles du Yang-tse-kiang, par le travers d’une ancienne redoute élevée par les Chinois pendant la guerre et dont il ne reste plus aujourd’hui que des ruines, on aperçoit une dizaine de navires européens reposant tranquillement à l’ancre sous les couleurs américaines ou anglaises, les mâts calés, les canots amenés, les voiles au sec, avec la sécurité et l’insouciance d’une escadre rentrée à son port d’armement : c’est une station d’opium. À tout moment, des bateaux contrebandiers accostent chaque navire, échangent leurs piastres contre les caisses d’opium et repartent vers la rive. Les bateaux des mandarins, les canots de la douane, les jonques de guerre passent et repassent, témoins de cette contrebande effrontée qui semble se joue des deux yeux peints à l’avant de leurs bossoirs. Si parfois quelque mandarin s’avise d’adresser ses réclamations au consul de Shanghai, celui-ci décline toute responsabilité pour des actes qui se commettent en dehors de sa juridiction ; il n’a rien à voir à Woosung. — Il en est de même à Amoy, où le consul anglais peut, du haut de sa maison, compter les mâts de la station d’opium, mouillée à l’abri d’une petite île presque à l’entrée du port. – De même à Canton ; à Chusan. Chacun des ports ouverts au commerce légal possède ainsi une succursale de contrebande où les transactions s’effectuent aussi librement que dans un port franc, sous les yeux des autorités chinoises. Les Anglais n’ont assurément pas à se plaindre, de cette violation flagrante de la loi ; mais que penser d’un gouvernement qui tolère une pareille moquerie ? Mieux vaudrait céder.
Il est difficile d’évaluer exactement les quantités d’opium qui se vendent chaque année sur les côtes de Chine. Ces quantités ne figurent pas sur les tableaux officiels du commerce ; mais nous pouvons nous former une idée du développement que ce trafic a pris depuis vingt ans, en consultant les tableaux dans lesquels le gouvernement de Calcutta, qui monopolise les ventes de l’Inde, établit le compte de ses recettes et de son bénéfice net. Voici quelques chiffres extraits de ces tableaux :
RECETTES | BÉNÉFICES NETS | |
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1829-30 | 16,280,868 roupies[1] | 11,837,101 roupies |
1835-36 | 18,051,328 | 13,161,372 |
1839-40[2] | 7,683,703 | 3,237,152 |
1843-44[3] | 22,846,066 | 16,685,796 |
1846-47 | 30,702,994 | 22,871,857 |
1847-48 | 23,625,153 | 13,066,386 |
1848-49 | 34,930,275 | 247104,775 |
Ces chiffres de recettes ne représentent que la valeur de l’opium vendu aux enchères publiques de Calcutta ; la valeur vénale, en Chine, s’accroît des frais de transport et des bénéfices de l’échange. Le profit net de la compagnie s’élève, comme on vient de le voir à plus de 50 millions de francs ; aussi le monopole