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fouettait à tour de bras, l’enfant s’égara dans les pampas. Le cheval, hors d’haleine, tomba épuisé après une course qui n’avait pas duré moins de vingt-quatre heures, et Juancito, épouvanté de se sentir seul dans le désert, sans savoir quelle route prendre pour regagner les habitations, perdit la tête. Trop inexpérimenté pour se guider le jour par le soleil, la nuit par les étoiles, il erra au hasard ; combien de temps, c’est ce qu’on n’a jamais su. Huit jours après sa fuite, on trouva, par hasard, sur la frontière du pays des Indiens, le corps d’un enfant que l’on supposa être le sien ; un fouet pendait à sa main gauche, et une fronde était jetée autour de ses épaules. Ces deux objets et les éperons attachés à ses pieds étaient tout ce qui restait de reconnaissable de ce petit cadavre dont les oiseaux de proie avaient déjà fait un squelette.

Pepita, le seul être qui survécût à cette famille détruite, galopait derrière Fernando, ignorant quel sort lui était réservé. À mesure qu’elle s’éloignait de sa demeure ravagée, l’espoir de retrouver sa mère s’affaiblissait dans son cœur. Bientôt elle se vit hors des bois, en pleine pampa, au milieu d’une horde de cavaliers armés pour la guerre et pour le pillage. Les bouviers de Gil Perez et les postillons de la esquina ne tardèrent pas à se disperser ; satisfaits du butin qu’ils s’étaient approprié, ils s’en allèrent chercher fortune ailleurs. Les scènes de désordre auxquelles ils avaient pris part ne leur laissaient aucun remords ; ils ne craignaient point non plus d’être poursuivis ni inquiétés. Qui les reconnaîtrait à cent lieues de là ? Qui leur demanderait où ils avaient pris les beaux châles roulés à leurs ceintures, où ils avaient acheté les chevaux qu’ils traînaient à leur suite ? La troupe de Fernando fut donc réduite aux quelques amis qui se vouaient à la vie vagabonde et criminelle du gaucho malo.

À la première halte, le muletier fit descendre Pepa ; la pauvre enfant tremblait de tous ses membres et n’osait lever les yeux sur lui. Assise dans les grandes herbes qui la cachaient à moitié, le visage couvert de ses deux mains, elle demeurait insensible et muette, tandis que les cavaliers, mettant pied à terre, s’occupaient à camper. Fernando s’approcha d’elle : — Pepita, lui dit-il, moi et les braves gens qui m’accompagnent, nous faisons un rude métier ; nos marches sont longues, et nous ne sommes jamais sûrs de dormir en paix. C’est donc le moins qu’aux heures de halte tu nous fasses oublier les fatigues de la veille et les périls du lendemain. Allons, niña, debout !… — Et comme la jeune fille se levait lentement, dominée par ces paroles dont elle ne comprenait pas bien le sens, un gaucho à la figure balafrée se mit à faire résonner les cordes d’une guitare. — Chante, chante, Pepa, cria Fernando d’une voix impérieuse ; dis-nous une des chansons de ton pays, que tu chantes si bien ! — Elle en savait beaucoup, mais la honte et la douleur l’empêchaient d’articuler un son. Le gaucho préludait