Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le germe d’une comédie ; toutefois il est probable que, réduite à ces termes, elle n’eût pas inspiré à l’auteur une grande variété de développemens. Clinias n’aurait eu pour se distraire que le spectacle d’une lutte inutile, d’une double défaite, trop facile à prévoir. Dès qu’Hippolyte paraît, dès qu’elle ouvre la bouche, le spectateur comprend qu’elle n’a pas de choix à faire entre Cléon et Pâris, qu’elle les repoussera tous deux avec le même dédain. Clinias devine, aux premières paroles de la jeune esclave, le sort réservé à ses deux amis. Pour prolonger la lutte, pour la renouveler, pour lui donner un caractère divertissant, après une première épreuve où les deux rivaux sont traités avec la même froideur, la même fierté, il imagine d’abandonner son bien à celui qu’Hippolyte aura dédaigné, comme une consolation dans sa défaite. La donnée primitive ainsi élargie convient parfaitement à la scène, et M. Augier l’a bien prouvé par l’excellent parti qu’il en a su tirer.

Il est vrai que le spectateur prévoit la transformation qui va s’opérer dans les deux personnages de Cléon et de Pâris. Il n’est pas nécessaire en effet de posséder un esprit bien exerce pour deviner que les amis de Clinias, plus épris de sa richesse que de la beauté d’Hippolyte, vont employer à se déprécier toute l’habileté qu’ils employaient tout à l’heure à se faire valoir. Pourtant j’aurais mauvaise grace à insister sur ce point, car M. Augier a mis dans la lutte nouvelle engagée entre Cléon et Pâris tant de verve et de gaieté, tant de mouvement et de franche raillerie, que l’auditoire oublie volontiers sa clairvoyance pour ne songer qu’au plaisir d’écouter les deux rivaux se calomniant chacun à son tour. L’un s’accuse de poltronnerie et d’avarice, l’autre de gourmandise et de caducité. C’est à qui fera de soi meilleur marché pour obtenir l’aversion d’Hippolyte et se consoler de sa défaite par l’héritage de Clinias. Toute la scène dont je parle est traitée de main de maître, et bien que cette scène tout entière ne soit à proprement parler que la contre-partie de celle où Cléon et Pâris s’efforcent de plaire à Hippolyte, l’auteur a su, par la variété, par la finesse des détails, lui donner tout le charme de l’imprévu.

Certes il y avait dans cette donnée de quoi défrayer deux actes : Clinias égayant sa dernière heure au spectacle de cet abaissement volontaire, et ramené à l’amour de la vie par la beauté, par la candeur ingénue d’Hippolyte, suffisait à nous contenter. L’auteur a cherché dans le développement du caractère d’Hippolyte une source nouvelle d’intérêt ; il a voulu que cette jeune esclave ne fût pas seulement pure et candide, mais capable de reconnaissance, capable d’amour et c’est là précisément ce qui donne à la Ciguë un accent de jeunesse. La lutte de Cléon et de Pâris aurait laissé dans notre ame une impression de désenchantement : après nous être amusés des