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de baïonnettes pour combattre de près, ils n’ont aussi ni poudre ni balles pour combattre de loin : vous n’êtes donc pas armés, vous êtes à peine vêtus, et voici l’hiver ! Les montagnes dans lesquelles il faudra nous retirer pour échapper à l’ennemi, jusqu’à ce que vous soyez en mesure de le combattre, seront bientôt couvertes de neige, et il vous faudra y supporter le froid et la faim, car vos villages seront incendiés et vos enfans seront égorgés, à moins que vous ne restiez unis pour résister d’abord et vous venger ensuite : c’est une guerre sans remission qu’on vous fera et que vous devrez rendre ; êtes vous prêts ? » Une immense acclamation suivit ces paroles étranges ; et Zumalacarregui reprit d’une voix plus éclatante : « Eh bien ! si, pour défendre vos foyers, pour protéger vos familles, pour soutenir votre sainte cause, vous ne reculez ni devant les privations ni devant les fatigues, ni devant le danger, je vous ferai trouver tout ce qui vous manque, munitions, équipemens et vivres… Je vous montrerai comment on se glisse au milieu des bataillons pour les disperser ; je vous dirai où il faut se cacher pour les surprendre, où il faut courir pour enlever leurs convois. Ce n’est point une guerre à ciel ouvert que je vous propose ; vous y seriez vaincus : c’est une guerre de ruses, de marches forcées et d’embuscades. Vous n’avez ni poudre, ni fusils, ni canons, comme vos ennemis ; vous n’avez qu’un moyen de vous en procurer : c’est de les prendre sur vos ennemis. Je vous demande une obéissance absolue, une confiance sans bornes : je ne vous promets rien que des nuits sans sommeil, des journées sans repos, des fatigues sans nombre ; mais je vous conduirai, Dieu aidant, à la gloire et au triomphe. Acceptez vous ? » Les volontaires navarrais lancèrent en l’air leurs berrets ronds, et leurs cris d’enthousiasme remplirent les échos de la montagne et de la vallée. Ces paysans sans armes demandaient à courir sus aux christinos ; ils étaient quinze cents à peine !

Par ce rude programme, on peut déjà se figurer ce que sera la lutte. Le théâtre de la guerre n’est pas moins bizarre que le plan de campagne : il n’a guère plus de vingt lieues d’étendue en long et en large. C’est la Navarre, et plus particulièrement cette partie de la Navarre dont Pampelune est centre. Cette province de Navarre, qui s’intitule royaume, quoiqu’elle n’ait pas plus de deux cent cinquante mille habitans, est une grande masse de montagnes où les vallées ont peine à trouver d’abord une issue, et filtrent, pour ainsi dire, entre les sierras qui les pressent, comme des ruisseaux qui élargissent leur lit à mesure qu’ils avancent, jusqu’à ce qu’enfin elles se réunissent, après avoir couru en tous sens en un grand bassin qui s’incline vers l’Ebre, et qui est circonscrit de l’est à l’ouest par le cours de trois rivières, l’Aragon, l’Arga et l’Ega : c’est la Ribera. Chaque fissure de montagne forme donc une vallée de trois quatre ou six villages, suivant son