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bords du Tigre, finit par disparaître, écrasée entre les puissantes monarchies des sultans de Constantinople et des schahs de Perse.

Quel sujet d’étonnement et d’admiration à la fois que la carrière d’Aboulféda, dont l’existence n’atteignit pas même les limites ordinaires de la vie humaine, et qui fut si bien remplie ! Sans cesse occupé à faire la guerre, distrait par des voyages et des déplacemens continuels, chargé du gouvernement d’un état assez considérable, Aboulféda sut trouver assez de loisirs pour acquérir et approfondir, l’universalité des connaissances qui formaient l’encyclopédie de son temps en Orient, et pour composer des ouvrages qui attestent de vastes lectures. Nous avons déjà vu qu’il avait poussé ses études médicales assez loin pour être en état de pratiquer, avec succès l’art de guérir. La science de la grammaire arabe, science très étendue et très compliquée, et que les Orientaux tiennent en grande estime, ne lui était pas moins familière. Grace à ses études philosophiques, il avait acquis une habileté consommée dans la dialectique, que l’admiration des Arabes pour Aristote avait mise alors très en vogue. Il était versé dans la jurisprudence, qui est chez les musulmans ce que le droit canon est chez nous, et qui constitue un corps de doctrines où quatre écoles différentes ont introduit des divergences notables. Dans les questions ardues que fait naître l’interprétation du Koran, il était à même de discuter pertinemment les opinions émises par les commentateurs souvent très subtils et obscurs de ce livre sacré. Enfin ses progrès dans les mathématiques et l’astronomie étaient allés assez avant pour lui permettre d’appliquer les règles de la science des heures. Cette science, qui est d’une utilité de tous les instans pour les musulmans, consiste à déterminer, à l’aide d’observations célestes et de calculs minutieux, l’instant précis de la journée où, sous les diverses latitudes, ils doivent s’acquitter des observances prescrites par la religion de Mahomet.

Dans sa résidence de Hamat et dans toutes les villes où il faisait un séjour même momentané, Aboulféda aimait à s’entourer de savans, et il brillait lui même dans ces réunions par une instruction aussi solide que variée. Sa haute position, son immense fortune, ses voyages, ses relations avec tout ce qu’il y eut d’hommes distingués ou puissans de son temps, tout, pour cet esprit méditatif et investigateur, tournait au profit de la science. Son palais renfermait une riche bibliothèque qu’il avait rassemblée et des collections précieuses réunies par sa famille, dans laquelle le goût des lettres était héréditaire.

Les ouvrages d’Aboulféda représentent le vaste ensemble de connaissances qui se résumaient en lui : la jurisprudence lui « doit un traité supplémentaire et la médecine une compilation en plusieurs volumes ; mais ses deux principales productions, celles qui font sa gloire et qui ont répandu partout, son nom, aussi bien dans l’Europe savante qu’en Orient, sont sa chronique qu’il intitula : Abrégé de l’Histoire Universelle, et son traité de géographie. Le premier de ces deux ouvrages comprend les annales arabes depuis les temps antérieurs à l’islamisme jusqu’à l’époque qui précéda la mort de l’auteur. On le considère avec raison comme le monument historique de l’Oriente le lus important qui ait été publié complètement jusqu’ici en Europe Ce qui le distingue des œuvres du même genre des autres écrivains musulmans ; c’est l’omission de ces légendes puériles ou merveilleuses dont ceux ci se plaisent à entourer la naissance, la vie et la prédication de Mahomet : Aboulféda n’a enregistré que les faits avérés et d’un intérêt réel et positif. Le même esprit de critique et de science raisonnés perce