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La gravure de la Smala fait partie de l’ouvrage dont parlait ainsi le roi Louis-Philippe. L’exécution de cette grande planche était déjà, depuis deux ans, confiée à M. Burdet, lorsque la révolution de février vint faire de nouvelles destinées aux arts, et à la gravure en particulier. Néanmoins, ce qui était commencé fut achevé, grace à la persévérance de l’éditeur, dont une spéculation n’était pas le seul objet. Il a fallu à M. Burdet cinq années d’un travail qui n’a pas été interrompu un seul jour pour achever cette œuvre capitale. La gravure de la Smala dépasse en effet par ses dimensions toutes celles que le burin a exécutées jusqu’à ce jour, non-seulement sur acier, mais encore sur cuivre, ce métal si malléable, si facile à l’action de la pointe sèche et du burin. Il y a à peine vingt ans qu’ont eu lieu en France les premiers essais de la gravure sur acier, et les artistes reculaient encore devant les difficultés et la lenteur du travail sur ce dur métal, quand l’ouvrage des Galeries historiques de Versailles vint les soumettre à un apprentissage forcé, qu’ils ont du reste mis à profit. Les trois mille planches composant l’ouvrage de M. Gavard ont toutes été gravées sur acier, celle qui doit clore cette grande publication devait donc l’être également. Aussi, au lieu d’être limité à cinq ou six cents, le nombre des bonnes épreuves qu’on peut tirer de la planche de la Smala s’élève-t-il bien au-delà du chiffre que la statistique commerciale assigne d’avance à la vente des grandes gravures. Les œuvres d’art ne peuvent malheureusement plus compter en France, aujourd’hui surtout, que sur un public fort restreint ; la gravure sur acier, en multipliant au-delà de toute proportion le nombre des bonnes épreuves, permet aux éditeurs d’en abaisser les prix ; c’est là un véritable progrès dans le sens des tendances modernes ; il vulgarise et répand les œuvres de l’art sans en abaisser le niveau.

Les difficultés d’exécution ont été surmontées par M. Burdet avec un rare talent. À l’aspect de sa gravure, on est surtout frappé de la hardiesse des partis-pris, de l’harmonie et de l’effet qu’il a su ménager entre tous les détails de ce vaste ensemble. Avec les ressources restreintes de la gravure, la simple opposition du blanc et du noir, M. Burdet a dû lutter contre toutes les richesses de la palette de M. Horace Vernet. Malgré les dangers que présente l’emploi de l’eau-forte sur une planche d’acier de cette étendue, le graveur a su en faire un utile emploi en l’associant à la pointe et au burin. C’est ce qu’il est facile de constater, l’éditeur ayant eu l’heureuse idée de faire tirer, il y a trois ans, quelques épreuves du travail de préparation de M. Burdet ; ces épreuves seront certainement consultées avec intérêt par les amateurs et surtout par les graveurs. — Les travaux considérables en tous genres sont généralement restés interrompus pendant ces trois dernières années ; l’apparition de la gravure de M. Burdet mérite donc doublement de fixer l’attention du public. Puisse-t-elle être le signe d’un retour aux œuvres sérieuses et aux entreprises de longue haleine, incompatibles avec le désordre moral et matériel !


V. de Mars.